Toufoundé Civé : EVANGELISATION !?   
23/05/2006
Difficile à croire. On est à Toufoundé Civé, une localité de 4000 habitants, dans la wilaya du Gorgol. Ici, depuis le départ de l’ONG caritative «Caritas Mauritanie» en février 2006, l’Eglise catholique aurait pris le relais de celle-ci et se livre, selon le témoignage de plusieurs habitants, à un prosélytisme déguisé en œuvres de bienfaisance. Des accusations que réfutent bien évidemment les responsables de l’Eglise de Nouakchott. Pourtant l’abjuration jusque-là ignorée chez nous, fait peu à peu son apparition dans notre société.


Les faits se déroulent à Tounfoundé Civé. Dans ce coin de la Mauritanie, les populations sont essentiellement constituées à plus de 80% de haratines, dont l’écrasante majorité croule sous la pauvreté. En dehors de l’activité de quelques associations reconnues d’utilité publique, et de l’action de quelques établissements publics délabrés, les populations sont laissées à leur propre sort, et vivent au gré des saisons, selon une bonne ou une mauvaise pluviométrie. «Parfois les autorités publiques se rappellent notre existence et se signalent par la distribution de sacs de céréales… juste de quoi tromper la faim pour nous et pour eux, se tranquilliser la conscience, l’espace d’une communication médiatique» constate avec perspicacité et amertume Bâ Ousmane Sy, enseignant dans la zone.
Cet état de dénuement, conjugué au fort taux d’analphabétisme (90% chez les femmes) et à l’insuffisance de structures de l’Etat, a favorisé, l’implantation de toutes sortes d’organisations. Mallé Diop, professeur de Sciences Physiques à Nouakchott, musulman de naissance s’est converti au christianisme. Depuis, le bonhomme répond au nom de Pierre. Un choix personnel que ne lui ont jamais pardonné ses amis et ses parents. «C’est une apostasie» déclare un de ses proches.
Sous couvert d’actions ou d’œuvres de bienfaisance, des sectes, des ordres, des groupements d’hommes trouvent le champ libre, pour ne pas dire un boulevard devant eux, pour s’adonner à des agissements et des spéculations pas toujours «catholiques». Est-ce le cas de l’Eglise catholique de Toufoundé Civé?
Tout porte à le penser, à en croire les propos d’un certain nombre de responsables locaux. Voilà bientôt un an que des voix, restées jusque-là «inaudibles», se sont levées pour dénoncer le flou qui entoure le programme et le travail auxquels se livre le personnel de l’Eglise de Toufoundé Civé. Selon Ousmane Sy : «contactée par ses soins pour discuter de l’action de l’Eglise pour venir en aide aux populations, Henrika, l’une des bonnes sœurs a d’emblée rejeté toute tentative, de ce qu’elle appellera’ingérence extérieure’ de la part des hommes de la localité».
C’est face à ce mur d’incompréhensions et de susceptibilités, «de gens qui auraient peut être des choses à se reprocher», qu’il décida avec un collectif réduit, après moult conciliabules inféconds avec le personnel de l’Eglise, d’adresser des correspondances aux autorités administratives locales (commissaire, maire, hakem, wali).

De l’humanitaire au prosélytisme religieux
Dans leurs missives restées lettre morte, ces citoyens mentionnaient leurs inquiétudes sur le lancement de cours d’alphabétisation destinés aux femmes, desquels les hommes sont exclus aussi bien pour dispenser, que pour prendre des leçons.
Les suspicions et les spéculations parfois insensées, débuteront alors le 31 Décembre 2005. Au fait, après plusieurs années d’activités (1982- 2005) dans la région, «Caritas Mauritanie» décida de plier bagages et de se retirer de Toufoundé Civé. L’ONG oeuvrait dans les domaines de la santé des populations et des animaux, de l’agriculture communautaire, de l’artisanat et des caisses coopératives, soit près de 100 millions d’ouguiyas d’investissements. Malgré un bilan mitigé, qualifié même de «médiocre» par des «réfractaires» à l’action humanitaire, Jean Meunier, le chef de la structure annonce le 31 décembre 2005, lors de la cérémonie d’adieu, que «Caritas s’en va, mais l’Eglise prend le relais». Une phrase dont le sens n’a pas été saisi par les habitants, jusqu’au jour où ils entrevoient la construction d’une garderie d’enfants et le projet de maison de session pour les sœurs. Cette structure serait financée par la Fondation Jean Paul II, sous la supervision de l’Eglise de Nouakchott par l’intermédiaire du Père Evêque.
«Vous n’êtes pas seul, Dieu est avec vous», conclut le Père Médar de Nouakchott, joint par téléphone, tentant alors d’expliquer la phrase de Meunier et de dissiper les soupçons qui pèsent sur l’Eglise catholique de Toufoundé Civé. Un «You are not alone» dont les notes n’ont pas apparemment caressé les oreilles dures des masses.
D’autant que les dirigeantes de l’Eglise catholique de Toufoundé Civé (Henrika, Eva Yolande, des européennes) ont refusé d’avoir recours à des compétences locales pour diriger les cours en Français ou d’inclure une dose de notions élémentaires de langue arabe dans les programmes d’alphabétisation. «Au contraire, elles ont préféré s’attacher les services de deux bonnes sœurs, des sérères du Sénégal qui ne parlent pas un traître mot des dialectes mauritaniens.»

Tolérance, dialogue interreligieux… Oui, mais !
Certains chefs de famille reprochent à l’Eglise «le fait de donner aux enfants de conditions pauvres, l’unique opportunité de goûter des bonbons, de jouer aux consoles de jeux vidéo, dans l’enceinte de leur temple ou de la garderie chrétienne». Selon eux, cette situation est de nature à altérer leur jugement sur les religions et pourrait corrompre leur conscience ultérieure.»
«De plus, ajoute un pédopsychiatre de Nouakchott : «dans cette localité où l’électrification est un grand luxe, où l’eau courante n’existe pas… il semble aller de bon sens de veiller à ce que l’Eglise, seul endroit où on en trouve, ne symbolise pas le «Paradis de l’Enfance» pour ces mômes». Les responsables de l’Eglise de Nouakchott affichent la sérénité et soutiennent travailler en bonne intelligence avec les autorités publiques concernées par ces questions. La Direction des Affaires politiques et des Libertés Publiques du Ministère de l’Intérieur affirme ne pas être au courant d’activités de zèle religieux à Toufoundé Civé. Elle n’a non plus ou du moins ne veut pas communiquer des statistiques sur le nombre d’obédiences religieuses installées en Mauritanie.
C’est là, le faisceau de prises de position qui a participé sans doute à jeter l’huile sur le feu et à envenimer les rapports entre le personnel de l’Eglise et les habitants locaux. Résultats ? Actuellement, sur les 40 femmes inscrites au début du programme, il n’en reste aucune. Une ambiance qui est par ailleurs la source du Cassius belli dans la création de la garderie d’enfants de l’Eglise. Cette dernière clame sa bonne foi en affirmant «n’avoir rien à se reprocher». Les «pétitionnaires» font remarquer que dans le billet de dollar américain est inscrit «In god we trust» (nous croyons en Dieu), mais faut-il pour autant attester de la bonne foi de tous les yankees. Les responsables de «Caritas Mauritanie», mis au courant de cette histoire, s’en lavent les mains, en avouant «ne pas être concernés ».
La lutte contre le terrorisme semble avoir focalisé toutes les attentions, au point d’occulter les autres dangers provenant de groupuscules de tous poils, pouvant menacer la paix sociale et le dialogue interreligieux. Alors que l’Europe supposée laïque, prend des mesures pour dompter l’Islam et les musulmans (conseils de culte musulman, droit de regard sur le financement des mosquées, sur la formation des imams), l’Afrique est de plus en plus infiltrée par des sectes dangereuses ayant pignon sur rue, cherchant par le «softpower» à gagner le cœur et les consciences des populations en misant sur leur pauvreté.
Qu’est ce que les bonnes sœurs auraient à perdre en associant à leurs emplois non subalternes et à la définition de leurs plans d’action destinés aux populations, les compétences locales? N’est ce pas cela, l’un des aspects du dialogue des cultures et des religions dont l’Europe «chrétienne» se prétend être la championne?
«Tout ce que tu fais pour moi, sans moi, tu le fais contre moi» disait le Mahatma Gandhi.
Cissé El Hadj dit Popèye
Cisse25@yahoo.fr

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