Courrier : Affaire du riz avarié/La triple manipulation   
13/05/2010

Yahya Ould Ahmed el Waghf était convoqué jeudi 13 mai par le juge d’instruction (comparution reportée sine die, le jour même !!!), dans le cadre de l’« Affaire du riz avarié Â» ; celle-là même qui avait servi, en partie, de prétexte pour le jeter en prison, après avoir été mis en résidence surveillée, quelques semaines après le coup d’Etat...



...qui avait renversé son gouvernement. Son arrestation avait eu lieu, on s’en souvient, alors qu’il se rendait à Nouadhibou pour présider, avec ses pairs un meeting du FNDD à Nouadhibou. Cette fois-ci, il devait comparaître ce jeudi devant le juge trois jours avant le meeting que la COD compte organiser…à Nouadhibou. Simple coïncidence ? Difficile à croire car, dans cette affaire du « riz avarié Â», il y a tellement de coïncidences et autres arrangements de timings, de procédures, de protagonistes et même de juridictions, qu’on ne peut s’empêcher de flairer la manipulation, voire le mensonge d’Etat.
Ni la forme, ni le fond, ni même les faits ne semblent vraiment correspondre à la dimension de simple « affaire de malversation Â» que le pouvoir, dont la main est visible derrière le bras de la justice, veut donner à cette affaire. Les lignes qui suivent tenteront d’en apporter la preuve.

Les faits.

Dans le cadre de ses transactions avec les fournisseurs de denrées alimentaires de la place, le Commissariat à la Sécurité Alimentaire(CSA) passe un appel d’offres pour la fourniture d’un peu plus de 3000 tonnes de riz. Il dispose de l’autonomie financière pour ce faire, avec pour seule restriction que, à partir d’un certain seuil, ses marchés doivent être approuvés par le Premier ministre, comme ceux de tous les autres organes autonomes de l’Etat. Après dépouillement des soumissions par la Commission des marchés du CSA, c’est le Groupe Abdellahi Ould Noueiguedh (AON) qui remporte le marché, lequel suit alors le circuit normal : approbation par le CSA, visa de la Commission Centrale des Marchés, puis visa du Premier ministre. Un visa qui, soit-dit en passant, ne peut en rien engager sa responsabilité pénale. Vient ensuite l’étape de l’exécution du marché : la réception du produit est de la responsabilité du CSA, à travers sa commission de réception, le payement du fournisseur aussi.
Au moment de livrer son produit, le Groupe AON se voit signifier que le riz présenté n’était pas conforme aux normes prévues par le contrat (il présentait, paraît-il, un excès d’amidon, ce qui ne signifie aucunement qu’il soit avarié !). Finalement, le CSA, a réceptionné 300 tonnes de la quantité prévue - soit moins de 10% - dans des conditions qui, toujours, relèvent de la seule responsabilité de l’institution ; le Premier ministre n’étant en rien concerné. D’ailleurs, le même CSA avait bien écrit au groupe AON pour réclamer la livraison d’un produit conforme aux caractéristiques prévues par le contrat de marché. Un litige entre un fournisseur et un client, voilà ce qu’est, en réalité l’affaire dite du riz avarié.

La triple manipulation.

La première manipulation s’est donc faite, déjà, au niveau de la qualification. Un riz « avarié Â» qui ne l’était en rien (il n’a été réceptionné de ce riz que moins de 10% et le reste est toujours dans les magasins de son fournisseur), une responsabilisation pénale du Premier ministre là où son rôle se limitait à viser un marché dépassant un certain seuil ! Mais elle ne s’arrête pas, loin s’en faut, à ce niveau.

 

La passation des marchés, le dépouillement des offres, le choix du soumissionnaire gagnant sont de l’unique responsabilité des ordonnateurs et de leurs commissions internes de marchés. Dans cette affaire, le Premier ministre a été rendu pénalement responsable, au même titre que les responsables et agents du CSA (Présidente de la commission des marchés internes, commission de réception, etc.), alors que le Commissaire qui est le seul responsable n’a pas s été entendu (il y a lieu de noter que c’est celui-ci, lui-même, qui a écrit pour demander qu’on lui livre un riz répondant aux spécifications du contrat)!
Pourtant, si anomalie il y a, elle ne peut concerner, à l’évidence, que l’étape de la passation du marché (responsabilité du CSA et de sa commission de marchés) ou celle de la réception du produit (Le fournisseur et la Commission de réception du CSA). Jamais le Premier ministre ne peut être tenu pour responsable à l’une ou l’autre de ces deux étapes car, encore une fois, son visa n’engage en rien sa responsabilité pénale. Peut-on, en effet, reprocher (au sens pénal) à la deuxième personnalité de l’Etat que des agents de septième ou huitième rang dans l’administration fassent mal leur travail ?

Pour «avoir Â»le Premier ministre Yahya Ould Ahmed El Waghf, une deuxième manipulation du dossier a été effectuée, au niveau du fond. Là où il y avait un litige entre un client (CSA) et son fournisseur (AON), on a monté un conflit entre l’Etat mauritanien et certains de ses responsables, accusés de « malversation Â» dans le cadre d’un marché public. Mais, même à ce niveau, il a été fait recours à une gymnastique procédurale pour « mêler Â» la deuxième personnalité de l’Etat à un dossier qui ne la concerne en rien. Il n’y aurait eu que les responsables et agent du CSA qu’on aurait peut-être pu « comprendre Â» ce qui se passe et croire à la bonne foi des autorités actuelles. Mais la présence du PM parmi les accusés est tellement incongrue qu’elle parle d’elle-même !

Une troisième manipulation a eu lieu, au niveau cette fois de la juridiction : Bien que la Haute Cour de Justice qui, seule, est habilitée à juger le Président de la République et les membres du gouvernement pour les fautes commises au cours de l’exercice de leurs fonctions ait été mise en place, le PM a été traduit contre toute procédure et en violation flagrante de la Constitution, devant un juge d’instruction, comme un simple fonctionnaire de l’Etat présumé coupable. Plus grave encore le juge, nonobstant son incompétence, l’a entendu alors que l’Assemblée nationale s’était saisie du dossier et avait constitué une commission d’enquête pour l’examiner ! C’était pourtant désormais à elle, et non à une quelconque autre structure gouvernementale, de décider ou non de porter la question devant la seule juridiction compétente, c’est-à-dire la Haute Cour de Justice !

Trois contorsions donc à la loi ont été nécessaires pour mêler le Premier ministre Yahya Ould Ahmed el Waghf à ce dossier cousu de toute pièce : Les faits ont été dénaturés, le fond du problème dévoyé et la juridiction compétente court-circuitée ! Et l’on se permet encore d’avoir l’outrecuidance de se prévaloir de l’Etat de droit dans ce pays !

En réalité, seul un mobile comme celui qui se trouve à la base de cette grande manip peut conduire à toutes ces violations de la loi : La neutralisation politique de l’ancien Premier ministre et de son parti, ainsi que de l’esprit démocratique qui fonde leur action. Le pouvoir n’arrive même pas à cacher cette volonté désormais vulgairement exprimée : La première arrestation du Premier ministre d’avant le putsch – dans le cadre de ce dossier – a lieu la veille d’une grande sortie politique de l’opposition, son incarcération qui a duré près de six mois a commencé le jour même où l’ancien Président a été libéré sous la pression de la rue et de la Communauté internationale et, aujourd’hui, sa convocation devant un juge qui n’est pas compétent pour le juger a lieu alors que le Parti qu’il dirige s’agrandit en s’ancrant davantage dans l’opposition et que la COD se prépare à organiser un grand meeting dans la Capitale économique !

Peut-on après nous faire croire à la indépendance de la justice, encore moins à la « sincérité Â» du pouvoir dans sa fameuse « lutte contre la gabegie Â» ?

Sidi Haiba Ould Akhyarhoum.(*)
shakhyarhoum@gmail.com

                                               (*) contributeur anonyme

 

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