Interview avec Docteur Yaye Ndaw Coulibaly (Mme Kane)    
17/07/2006

«Il faudra bien qu’on tienne avec force, à l’islam qui nous unit et qui peut résoudre tous nos problèmes»
De par le monde, les islamistes traĂ®nent une rĂ©putation de misogynes. En Mauritanie, ce clichĂ© semble ĂŞtre dĂ©menti : les femmes occupent une place de choix au niveau de la coordination des rĂ©formateurs centristes (islamistes mauritaniens). D’ailleurs une femme siège Ă  la coordination des renformateurs.  Nous avons rencontrĂ© cette femme : Docteur Yaye Ndaw Coulibaly responsable des femmes au niveau de cette coordination. Entretien…



Tahalil Hebdo: Pour le lecteur qui ne vous connaît pas, qui est Yaye N’daw Coulibaly ?
Mme Yaye Ndaw Coulibaly:
Bismillahi Rahmani Rahim. Je suis Mme Kane,  pharmacienne de formation en charge des inspections pharmaceutiques au Ministère de la SantĂ© et des Affaires Sociales, mariĂ©e et  mère de deux filles: Mariem et Khadija.  Je suis avec mes frères et sĹ“urs rĂ©formateurs centristes depuis les annĂ©es 80, après la fin de mes Ă©tudes  au SĂ©nĂ©gal.

TH: MĂ©decin, femme negro-mauritanienne et responsable au niveau d’un parti islamiste, ne trouvez-vous pas que vous avez un profil original ?

Y.N.C : Je me sens bien en Islam. Je ne sens pas d’antagonisme ou de contradictions dans mon statut. Nous sommes tous musulmans Et la constitution que nous venons de voter Ă  l’issue d’une campagne rĂ©fĂ©rendaire est très claire. Elle reconnaĂ®t que l’islam est la religion de l’Etat et du peuple. En tant que musulmane,  je me retrouve avec les gens avec lesquels je m’entends. Ici on se respecte, chacun donne son point de vue en toute libertĂ©, sans aucune pression.

TH : Certes l’islam rĂ©unit les mauritaniens, mais la politique les divise. On parle de problèmes de cohabitation intercommunautaire, en s’attardant sur des spĂ©cificitĂ©s culturelles propres Ă  nos composantes nationales. Pensez-vous que l’islamisme puisse Ă©ponger ces divergences ?

Y.N.C : En Islam, il n’y a guère de diffĂ©rence entre l’Arabe et l’Ajami (celui qui ne parle pas arabe) sauf par la piĂ©tĂ©. Le problème rĂ©side dans l’acceptation et l’application des prĂ©ceptes de l’islam. Or, il existe des gens qui sont musulmans quand ils le veulent. Quand je vois un musulman voler ou mentir, c’est qu’à un certain moment il a oubliĂ© ce qu’il est, pour faire ce qu’il veut. Il faudra bien qu’on tienne avec force Ă  ce lien. L’islam nous unit et peut rĂ©soudre le problème de la cohabitation. Il ne devrait plus se poser. Je saisis Ă©galement cette occasion pour condamner l’agression menĂ©e par l’entitĂ© sioniste contre les peuples de Palestine et du Liban. J’exprime ma solidaritĂ© sans ambages  avec les peuples frères de Palestine et du Liban dans cette Ă©preuve tragique marquĂ©e par le silence de la communautĂ© internationale. Et je tiens Ă  prĂ©ciser ici que ces agressions ne visent pas seulement les arabes mais le monde musulman dont les arabes en sont une partie.

TH : Mais nous sommes dĂ©jĂ   une RĂ©publique islamique.

Y.N.C : Je viens de vous dire qu’il nous arrive d’oublier ou de refouler quelque part certains prĂ©ceptes Ă©lĂ©mentaires pour rĂ©gler d’autres problèmes de la vie d’ici-bas.

TH: Les islamistes ont contribuĂ© Ă  la chute du prĂ©sident Ould Taya qui leur  a longtemps refusĂ© un cadre lĂ©gal.  Les nouvelles autoritĂ©s en font autant, mĂŞme si les islamistes sont tolĂ©rĂ©s et que le rĂ©tablissement  des candidatures indĂ©pendantes va leur permettre de participer au jeu politique. Est-ce le rĂ©sultat d’un deal avec la junte au pouvoir depuis le 3 aoĂ»t ?

Y.N.C: Pas du tout! Nous continuons à clamer haut et fort que nous avons le droit comme tous les mauritaniens d’avoir un cadre d’action politique qui nous permette de nous exprimer en dehors de l’initiative que nous avons lancée. D’ailleurs nous ne comprenons pas pourquoi les autorités refusent de nous reconnaître en tant que parti politique. Cela ne nous découragera pas et ne nous empêchera pas de jouer notre rôle. La Constitution nous garantit ce droit.

TH: Les autorités estiment qu’en légalisant un parti islamiste, elles concèdent un monopole de l’islam à un parti, or tous les mauritaniens sont musulmans

Y.N.C: Quelquefois on se cache derrière certains alibis pour se justifier. Ce sont les gens qui nous qualifient d’islamistes. Nous sommes surtout des musulmans. Et même si on nous qualifie de parti islamiste cela ne veut pas dire que les autres ne sont pas musulmans. Certains partis se qualifient de républicains et démocrates, cela ne veut pas pour autant dire que ce sont eux seulement qui sont républicains ou démocrates. Un tel alibi est une manière de refuser de nous reconnaître en tant que parti.

TH: Le dossier relatif Ă  des islamistes salafistes prĂ©sumĂ©s avoir participĂ© Ă  l’attaque de lemgheiti est prĂ©sentement devant la justice. Ce dossier vous embarrasse-t-il ?

Y.N.C: Pas du tout !  S’il y a un dossier pendant devant la justice, nous pensons que la justice doit suivre son cours, qu’il s’agisse de nous ou d’autres. Personne n’est au dessus de la loi.

TH: On s’achemine dans quelques mois vers des Ă©lections lĂ©gislatives et municipales Avec le quota des 20 % accordĂ© aux femmes et selon nos informations vous serez investie par les rĂ©formateurs centristes Ă  la dĂ©putation de Nouakchott. Est-ce vrai ?

Y.N.C: C’est une question piège (rires). Ce n’est pas le moment d’en parler. Je pense toutefois que ce quota de 20% constitue une réelle avancée. A condition qu’il y ait la personne qu’il faut à la place qu’il faut. Il ne faudra pas que ce quota de 20 % nous ramène en arrière surtout par rapport aux profils que l’on voyait dans les conseils municipaux et l’ancienne assemblée.

TH: Des partis politiques dont des partis membres de la Coalition des Forces du Changement DĂ©mocratique (CFCD), dont vous ĂŞtes membre ont estimĂ© que ce quota de 20 % a Ă©tĂ© imposĂ© aux partis par la nouvelle loi Ă©lectorale. Ils ont exprimĂ© leurs rĂ©serves. Votre rĂ©action ?

Y.N.C: Chacun est libre de ses opinions et de sa manière de voir les choses. Ce quota de 20 % est une avancĂ©e et sert l’intĂ©rĂŞt du pays. D’ailleurs, il faut travailler pour dĂ©passer ce quota. S’agissant de ces partis ayant exprimĂ© leurs rĂ©serves,  je suis dĂ©solĂ©e de le dire, mais je pense que c’est le rĂ©flexe misogyne qui refait surface.

TH: OĂą en ĂŞtes vous au niveau de la CFCD avec les accords Ă©lectoraux qui Ă©taient en Ă©laboration ?

Y.N.C: Notre coordinateur pourra vous en parler plus que moi. Nous sommes toujours en négociation et je préfère ne pas en parler pour le moment.

TH: Les rĂ©formateurs centristes respecteront-ils le quota des 20 % accordĂ© aux femmes  dans leurs futures listes ?

Y.N.C: Il n’est pas exclu que nous dĂ©passions le quota. Il ne faudra pas que nous soyons limitĂ©s par ce quota. Pendant très longtemps nous avons laissĂ© les hommes occuper les 99 % des postes .Il est temps que les femmes compĂ©tentes soient responsabilisĂ©es .Le monde s’en portera mieux.

TH: Des dossiers reviennent souvent au devant de la scène : le passif humanitaire, les rĂ©fugiĂ©s et la plainte dĂ©posĂ©e Ă  Bruxelles contre Ould Taya.

Y.N.C: Concernant le passif humanitaire et le problème des rĂ©fugiĂ©s, nous Ă©tions inquiets depuis le changement du 3 aoĂ»t que ces problèmes n’aient pas Ă©tĂ© Ă©voquĂ©s. Je crois qu’il ne serve Ă  rien de vouloir ignorer certains problèmes, quelque soit ce qu’ils peuvent nous coĂ»ter. J’ai confiance au peuple mauritanien et je suis persuadĂ©e qu’il n’y a pas un problème qui ne puisse ĂŞtre rĂ©solu. Le premier pas est de reconnaĂ®tre. Il faut reconnaĂ®tre, puis demander pardon. Nous sommes des musulmans et le musulman sait qu’il a tout Ă  gagner en  pardonnant. Concernant la plainte contre Ould Taya,  j’estime que personne n’est au dessus de la loi. On peut juger qu’il doit ĂŞtre poursuivi et le faire, tout comme on peut juger qu’il pourra ĂŞtre laissĂ© Ă  l’instar des prĂ©sidents qui l’ont prĂ©cĂ©dĂ©. Personnellement je suis contre les règlements de compte.

TH: D’aucuns évoquent également le dossier des crimes économiques.

Y.N.C:   Sur ce plan,  j’estime que c’est une bonne chose que la justice puisse rĂ©cupĂ©rer ce qui peut encore l’être. Cependant, je suis contre l’ouverture de ces dossiers rien que pour crĂ©er des problèmes sans pouvoir les rĂ©soudre. Cela ne sert Ă  rien du tout. Je dois aussi vous dire que nous sommes très prĂ©occupĂ©s par l’éventuel retour aux affaires de ceux qui se sont rendus coupables de crimes Ă©conomiques.                                                    

Propos recueillis par IOM


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