Courrier : Lettre à notre ami Limam   
02/01/2010

Le Journal gouvernemental ’’Horizons’’ reprend du service pour participer à sa façon à cette campagne de lynchage menée par le Président Aziz à l’encontre de ceux à qui ’’il doit tout’’. Dans sa livraison datée du jeudi 31 décembre 2009, notre quotidien très officieux a publié une longue tribune signée de Mr Limam Ould ElAdel...



...dont le but –à peine voilé- est de raviver un sentiment de haine à l’encontre des hommes d’affaires et leurs soutiens ; ou pour dire la chose de manière nette et claire : contre leur tribu. Du jamais vu, dans notre pays ! Que les non-initiés sachent que ce genre de tribune est une vieille tradition dans ce pays et que les Autorités y faisaient recours en général lorsqu’elles entrent en conflit avec un pays étranger. Leur objectif est de toucher la fibre nationaliste des populations afin de créer une espèce ’’d’union sacrée’’ autour de la position du Gouvernement. Tous les observateurs de notre scène politique peuvent facilement en témoigner ; et les exemples sont nombreux sur les vingt dernières années : conflit avec le Sénégal ; avec la Libye, l’Irak et leurs réceptacles locaux…etc.
Qu’un tel moyen de propagande soit utilisé par un Gouvernement contre une partie de sa population est un fait annonciateur de graves atteintes à notre cohésion nationale et à la pérennité même de l’Etat. Un tel comportement est en effet, parfaitement assimilable à de la propagande particulariste que notre Constitution interdit et punit en son article premier. Article n°1, s’il vous plaît !
Cette mise au point, étant faite il est utile d’entrer dans le vif du sujet afin d’examiner les opinions et arguments avancés dans ladite tribune. Et pour commencer, saluons-en la qualité rédactionnelle, qui dénote d’une maîtrise parfaite de la langue et du sujet. Mais cela ne suffit pas pour rendre la démonstration pertinente ou juste.
L’Auteur est revenu sur toutes les péripéties du dossier BCM/Hommes d’affaires et il s’est employé avec plus ou moins de bonheur à justifier la justesse de la ’’cause du Général’’ tout en vilipendant –et parfois de manière très cynique- l’attitude des hommes d’affaires. Et cet Auteur n’y est pas allé par le dos de la cuillère : Tout y passe : les méfaits du régime de Ould Taya, le positionnement politique des hommes d’affaires et de leurs cousins, la bonne gouvernance, la mal-gouvernance….etc. Et en filigrane de tout cela, la volonté de l’Auteur de béatifier le Général Aziz, qui serait ainsi ’’le messie attendu’’ pour faire renaître la Mauritanie. De ’’l’Azizolâtrie’’, en bref donc !
Toute la belle littérature produite par notre Auteur ne saurait faire oublier l’essentiel, que tout esprit honnête se doit d’examiner pour former –et si possible, prononcer !- son jugement. Eh oui ! par les temps qui courent, certains hésitent à prononcer leurs convictions. Et d’autres préfèrent tout simplement les mettre entre parenthèses, le temps de profiter des avantages et autres prébendes distribués par le Prince actuel.
Dans toute cette affaire, l’essentiel se décline en des questions très simples, étant entendu que personne n’ose s’inscrire en faux par rapport au principe de la lutte contre la gabegie. Ces questions sont :
-Les Autorités actuelles jouissent-elles de la crédibilité requise pour engager cette action ?
-La méthode utilisée est-elle juste et/ou pertinente ?
-L’attitude des hommes d’affaires en question est-elle si blâmable, comme l’affirme notre Auteur ?
En fait, les réponses à ces simples questions sont loin d’être banales. Il s’agirait plutôt de chapitres à écrire, tant les enjeux et les risques sont énormes pour la quiétude de notre pays. Mais comme l’espace et le temps ne sauraient ici suffire, je fais appel à notre ami Limam qui semble jouir de tous les attributs requis pour me compléter dans sa prochaine livraison pour ’’Horizons’’. Ce serait plus utile pour son pays !

Au sujet de la crédibilité 
La lutte contre la corruption et la gabegie est un thème galvaudé depuis plusieurs années aux quatre coins de notre planète. Ce n’est donc pas une invention locale de 2009. Les approches et les stratégies en cette matière sont bien documentées pour qui veut s’en inspirer. Même notre pays s’y est déjà mis en élaborant une ébauche de stratégie nationale en collaboration avec certains partenaires étrangers. Notre propos vise ici à déplorer le manque de pertinence dans l’action entreprise par le Général Aziz. Ce à quoi on a assisté jusqu’à ce jour relève de l’improvisation et tout le monde l’a interprété comme une simple (mais effroyable !) opération de règlement de comptes. Il est en effet loisible à tout humain de se poser des questions lorsque des faits aussi gaves se produisent. Et l’une des questions qui semble titiller tout esprit normal est désormais de plus en plus posée : Mr Aziz est-il qualifié pour cette mission ?
Il est en effet reconnu que tout esprit logique a besoin d’un minimum de déterminisme pour fonder ses conclusions et jugements. Dans un pays de culture arabo-islamique le vieil adage disant qu’on ne peut chercher à obtenir de quelqu’un ce qu’il n’a pas (’’faqidou echeyii, la you’tihi’’) résonne dans l’esprit de tous les mauritaniens qui assistent depuis quelques mois à la mise à exécution de ce slogan azizéen. Légitime et logique !
Eh oui ! Le chef de l’Etat actuel n’est pas né en août 2005. De source officielle, il est né en décembre 1956. Et comme on n’est en Mauritanie, où tout se sait et rien ne se cache, l’histoire personnelle de Mohamed Ould AbdelAziz est maintenant bien connue, depuis qu’il a décidé d’entrer par effraction dans la vie de ses compatriotes. Son enfance, son adolescence au Sénégal, à Rosso et puis à Nouakchott. Son entrée dans l’armée, son cursus à l’Académie militaire de Meknès, son retour au pays et les divers postes qu’il a occupés, jusqu’à sa promotion à la tête du Basep. Tout cela est maintenant bien connu de tous les mauritaniens initiés, car il y avait à chacune de toutes ces étapes des témoins nombreux. Le profil psychologique et la moralité de cet homme sont bien connus. Tout comme on connaît ’’son niveau intellectuel’’, son ’’aptitude au commandement’’ et son ’’niveau patrimonial’’ à chacune des étapes de sa vie. Ce n’est certainement pas ici le lieu pour en faire l’étalage. D’autres l’ont déjà fait ces derniers mois. Toujours est-il qu’on peut mentionner que l’armée mauritanienne compte de très nombreux officiers comparables (en grade et en mérite) à notre chef d’Etat actuel ; et que ceux que tout le monde classe comme modèle d’intégrité et de rectitude sont loin d’égaler le ’’niveau matériel’’ acquis par notre chef d’Etat actuel, à la date de la journée du 3 août 2005. Pour l’après 3 août 2005, nous ne disposons pas d’éléments comparateurs fiables pour juger !
Pour résumer donc, il suffit de dire qu’il nous est légitime de penser que ’’le passé et l’avenir sont liés par un certain déterminisme’’. Et que l’on est bien en droit de douter de cette ’’virginité déclarée’’ à l’appui de slogans réformateurs que rien dans le passé du ’’déclarant’’ ne permet de valider. Ça c’était sur le plan des généralités.
De manière plus spécifique pour le sujet des hommes d’affaires, plusieurs éléments viennent corroborer la thèse du règlement de comptes, et le caractère purement politique de cette affaire. Le degré de liberté pris par le Pouvoir exécutif avec la Justice et ses procédures est là pour enlever tout doute possible.
Comme disait l’autre Â« si les citoyens ont lutté, chacun à sa façon, pendant des années, dans les conditions les moins appropriées, en acceptant des sacrifices de tous ordres, ce n’est pas pour voir qui que ce soit s’approprier l’Etat et ignorer la lettre et l’esprit de cette démocratie Â». Et pourtant c’est ce que fait notre chef d’Etat actuel et il ne s’en cache pas !
Et cet autre d’ajouter : Â« Quand on n’est pas cru, tout s’oppose à vous, même si vous jurez par vos grands dieux Â». C’est ce qui arrive aujourd’hui pour notre Général Aziz dans sa campagne de lutte contre la gabegie. Pour s’en convaincre aujourd’hui, il suffit de fréquenter l’un des marchés de Nouakchott pour y écouter le peuple ; ou d’accepter d’aller faire ’’ses courses’’ dans les taxis de notre capitale.
Au sujet de la méthode 
La fonction de chef d’Etat ne peut pas s’accommoder de certaines pratiques. Elle impose un degré de solennité et de sérieux qui rend tout écart destructeur. Pour reprendre cet Autre disons que « toute l’action, toute la politique d’un Pouvoir, quel qu’il soit, le choix délicat des hommes et tout le reste, se ramène, se résume, se concentre, finalement, en quelque chose de singulier, une mince membrane fragile et délicate qui s’appelle la crédibilité et qu’un rien peut mutiler. Dès qu’elle est entamée, il n’y a plus rien à faire, c’est perdu ! Â».

L’action publique est aussi bien un art qu’une science. Elle a ses principes et ses règles. Or, ce à quoi nous assistons relève de l’improvisation. Aucune stratégie n’a été adoptée et les moyens d’action n’ont pas été institutionnalisés. Tout est à l’humeur du Prince.
Les péripéties de cette affaire sont là pour le démontrer : convocation à la Police ; volonté de transiger ; négociations avec la BCM et accord ; début d’exécution de l’accord et puis volteface : re-convocation à la Police ; changement dans les conditions de négociations, menaces et mise en prison. Le pire dans tout ça, c’est que ces hommes d’affaires n’avaient pas d’interlocuteurs fiables. Tout venait ’’d’en haut’’ et les voltefaces expliquent bien cela ! Et dire alors qu’on est dans un Etat dont le chef veut bâtir une Mauritanie nouvelle. Elle est bien nouvelle…mais en quoi ?
La normalité des choses dans un Etat de droit aurait voulu que ce dossier soit traité de manière tout à fait banale. Nous avons en effet un Parquet et des Juges qui sont payés pour ça. Le Président n’a rien à voir dans ça : pas besoin d’aller à l’hôpital Cheikh Zayed dans une visite bien qu’inopinée est plus que provoquée pour cette cause. Pas besoin, non plus de faire dérouter une marche vers la Présidence de la République, où le Président –en personne !- se mobilise pour l’accueillir afin de vociférer des propos que rien n’aurait dû l’amener à prononcer. Un Président doit savoir garder son calme !
Rappelons au Président Aziz que notre Constitution –celle qu’il a juré de respecter- dispose que « toute personne est présumée innocente jusqu’à l’établissement de sa culpabilité par une juridiction régulièrement constituée Â». Chez nous, donc, la sentence n’est pas prononcée par le chef de l’Etat en colère devant un micro de télévision !

Au sujet de l’attitude des hommes d’affaires
Ici notre Auteur sort de ses gonds. Son propos n’est autre qu’une incitation aux pogroms !
Les hommes d’affaires et leurs proches (disons leur tribu, comme on n’est en Mauritanie) sont vilipendés avec une hargne méthodique. On leur reproche à tort et à travers : leur parenté avec Ould Taya, leur implication dans l’économie du pays, leur action politique. Et le ton est quasi-sentencieux : ils sont fautifs pour la simple raison qu’ils ne sont pas des courtisans du Général Aziz. Le crime de lèse-majesté en somme !
A en croire notre Auteur, la Mauritanie n’est pas une démocratie et les citoyens ne sont pas libres de choisir leur candidat aux élections. Sauf, à dénier la citoyenneté aux membres de la tribu des hommes d’affaires.
Que tout le monde ici sache que notre pays a une Constitution. C’est elle –et elle seule- qui organise notre vie en société et le mode d’exercice et de distribution des pouvoirs au sein des institutions de la République. Cette constitution énumère les droits et libertés garantis pour tous les citoyens.
Parmi ces droits, figure celui d’aimer le Président Aziz. Tout comme, le droit de ne pas l’aimer !
Quant à la parenté qui lie ces hommes d’affaires avec l’ancien Président Taya, il n’y a rien dans les lois de notre République qui en fait un délit et encore moins un crime. Que notre Auteur Limam sache que dans tous les pays du monde, des nostalgiques d’anciens régimes existent sans que ceux-ci soient inquiétés. Dans certains pays où des monarchies existaient, il y a plus d’un demi-siècle, des courants d’opinions (parfois des Associations, en bonne et due forme) militent ces jours-ci –sous un régime républicain- pour le retour de la monarchie. Sans que cela donne lieu au moindre problème. Que les lecteurs sachent qu’en Angleterre, l’une des plus vieilles monarchies du monde, il existe un courant d’opinion qui appelle à l’abolition du système monarchique. Eh oui, l’un des plus gros avantages de la vie démocratique, c’est cette culture de tolérance qui semble hélas tant manquer à notre ami Limam.
Concluons alors en posant ces questions 
Sommes-nous en 2009 ou 1909 ? Vivons-nous dans un Etat ou dans des campements (vrig) où sévissent encore les mentalités des razzias et des vendettas?
Sommes-nous dans un Etat de droit où la séparation des Pouvoirs est une prescription constitutionnelle incontournable ?

Et rappelons enfin à notre ami Limam que savoir bien écrire n’exonère pas un Auteur de chercher à écrire du bien pour ses compatriotes, lorsque le sujet touche un thème aussi sensible pour la collectivité nationale. Et disons-lui enfin que le Général Aziz partira un jour et nous serons tous ensemble ici sur cette terre de Mauritanie. Cette terre d’Islam où notre religion nous exhorte à préserver l’honneur des autres et à répandre la fraternité et la justice au sein de nos populations.
Que Dieu bénisse la Mauritanie et son peuple ; tout son peuple, y compris vous Liman, et moi. Et sans oublier bien sûr, Hanefi Ould Dahah dont le sort aujourd’hui en cette Mauritanie nouvelle est celui qu’on connaît.
We salam !
Abou Taleb El-Mouritani


P.S : En lisant notre ami Limam, ma première pensée fut ’’Quelle infamie !’’. Et je me suis alors mis à relire le fameux document publié en début 2008, intitulé ’’Eviter l’infamie’’ dont certaines citations sont reprises ici.

 

Les opinions et avis exprimés dans ce courrier n’engagent pas nécessairement   TAHALIL. Ils engagent  leur(s) auteur(s).


Toute reprise totale où partielle de cet article doit inclure la source : www.journaltahalil.com
Commentaires
bouama
boua@yahoo.com
2010-01-02 18:14:02

je vous soutiens au fond dans tout ce que vous avez ecrit mais pour des raisons alimentaires je fais semblant de soutenir Aziz dans sa croisade contre les smacids

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