Sur les traces du «dernier des nomades»   
08/05/2006

Il est un tout petit village, enfoui dans les sables, qui viennent s’échouer dans la chamama, dont l’appellation raconte par delà l’histoire, l’éprouvante condition humaine des gens du désert. Que l’un des ressortissants de ce bled coincé entre les dunes mouvantes revendique le statut du dernier des nomades procède, de prime abord, d’une banale légitimité. Qu’un livre soit consacré à sa vie ainsi qu’à celle des siens renvoie, a priori aux autobiographies bien classiques auxquelles seuls les passionnés, de plus en plus rares, de la littérature pourraient s’intéresser.



Mais que l’auteur du «génie des sables»- remarquable essai publié en 1991- s’empare, de la vie, à la croisée des chemins, de ce jeune ressortissant, pour l’insérer dans un défilé de la mémoire de tout un peuple plonge, forcément, le lecteur dans une saisissante émotion.
La localité de Melgue Lemrayer dont le nom implique, en soi, une croisée des destins, semble inspirer à l’écrivain intellectuel El Ghassem Ould Ahmedou, bien au- delà de l’ancrage disciplinaire lequel se traduit par un romantique appel au souvenir, une appréciable vocation politique de la pensée littéraire.
L’intérêt pour la politique nationale apparaît, en effet, comme le fil conducteur du roman publié par l’Harmattan en 1994 – collection des Encres Noires- et, opportunément, intitulé «le dernier des nomades».
L’histoire de Ould Alou, principal personnage du récit, s’identifie à celle de ces Mauritaniens, il est vrai, de moins en moins nombreux, pour lesquels voir et a fortiori, monter à bord d’un véhicule fut un miraculeux exploit.
Dans sa prime enfance, le héros a assisté à l’apparition de «l’objet qui parle» et fut même le témoin des vives polémiques tenant à prouver si le fait «d’écouter le poste radio était licite ou non». Il incarne, également une jeunesse qui se méfiait, comme de la peste, de l’école «moderne» et dont l’horizon territorial dépassait largement les frontières héritées de la colonisation.
Globalement, la vie de ces chameliers à la recherche de pâturages, sans cesse, renouvelés a été bouleversée par les multiples exigences de l’Etat national qui se trouve enclin, par nécessité théorique, à appliquer des politiques, souvent, inadaptées.
De ce point de vue, ce qui frappe le plus dans le témoignage du dernier des nomades c’est le manque de préparation caractéristique des populations qui ont été assujetties aux valeurs de la «citoyenneté», hâtivement, proclamées et qui sont, depuis lors, regroupées dans le cadre
d’une urbanisation mal conçue.
En effet, à l’exception des rares anciennes villes ensevelies par les sables ou anéanties par une arrogante modernité, les seuls monuments connus dans cet espace désertique sont les puits qui forment pour reprendre le titre d’un autre livre du même auteur, des «éléments pour une symbolique maure».
Or, dans le domaine vital de la recherche de l’eau laquelle déterminait, jadis, la nationalité des nomades, il est bien permis de constater que l’image désastreuse, des ânes-citernes dans la capitale, «surprise» est une honte pour l’Etat national.
De même, et c’est encore plus honteux, la modernité a été construite au détriment de la capacité d’endurance qui permet de résister aux destructrices tentations. Le dernier des nomades qui avait, en effet, l’habitude d’apostropher sa monture en ces termes inspirés par le génie des sables :
Cher chameau, les lieux d’amour
Tu les atteindras avant le soir
Ou tu mourras dans l’entreprise
Alors ta mort aura un sens !
é volue désormais dans un environnement qui condamne l’austérité de sa vie matérielle…Sobre à l’image de son chameau, il a été éduqué dans
« la répugnance du faux témoignage ainsi que celle du bien d’autrui»
Jeté dans un univers qui incite à la corruption, il ne peut que regretter le temps où les gens de son bled s’engageaient dans des glorieuses compétitions purement esthétiques et scrupuleusement organisées à titre gratuit.
C’était avant que des rejetons de sa civilisation ne soient expédiés contre une maudite somme pour amuser la galerie des princes extravagants qui « nourrissent leurs chameaux avec les dattes» et qui poussent l’abus jusqu’au «gaspillage du lait»...La piété des siens s’identifie à celle de l’imam de son bled lequel refusait l’idée même d’être rémunéré pour exercer le ministère de la prière et qui enseignait, sans une aliénante contre-partie, le livre et la sagesse.
L’irrationalisme des temps modernes semble, d’ailleurs, justifier aux yeux du dernier des nomades, l’escroquerie commise par le berger Ould Lasfar, lequel ne pouvait pas comprendre que Monsieur Martin consacre à un chien, à un singe et à une poule l’équivalant à l’alimentation, pendant un mois, de tout un campement.
Au chapitre de l’exode qui a violemment perturbé l’antique mode de vie des nomades, il est , quelque part, inscrit que la génération des «lecteurs du ciel» qui savent faire parler les étoiles et à laquelle appartiennent les personnages du roman incarne l’indispensable «volonté de ne pas disparaître». Le sens de l’intuition et de l’intelligence que cette génération développe, perpétuellement, découle d’une légendaire morale de la survie.
Pourtant tout indique, jusqu’à nos jours, que son adaptation aux contraignantes réalités de l’Etat national s’avère bien difficile.
Qu’il s’agisse de cette colonie des bergers exportés aux Emirats, de cette femme divorcée, qui dans le souci d’affirmer une obligatoire fausse fierté, cherche à s’émanciper, à travers l’exercice des activités incontrôlées, de ces jeunes ressortissants des mahdras marginalisés par le système administratif et que les conditions financières conduisent à s’exiler ou de ce conflit qui oppose les chameliers, soutenus spontanément par leurs voisins peulhs, aux agents publics d’une agriculture jugée quelque peu prétentieuse, la tonalité du récit semble inviter le lecteur à méditer sur le sort de ces nomades, toutes composantes confondues, en mal d’assimilation.
Il reste à préciser que la dimension politique de la littérature s’impose aux auteurs des essais politiques, en vogue, qui s’efforcent d’interpréter les réalités mauritaniennes, dans leur pluralité, ne serait-ce que pour indiquer un chemin à ceux qui prétendent agir pour changer le réel.. De ce point de vue, il serait quelque peu hâtif, comme le laissent paraître certains pertinents reproches, de réduire les efforts d’interprétation à la fatalité ou à la nostalgie.
Il faut, cependant, avouer que le fait qu’un appel au souvenir soit lancé de Melgue Lemrayer, de l’endroit même où les célèbres universités à «dos de chameau» dispensaient le précieux «enseignement traditionnel en Mauritanie»- Thème abordé, par l’auteur du roman, dans un autre livre- et de ces contrées dans lesquelles, l’illustre Moctar Ould Bouna (m. 1220 h) régnait en maître absolu des sciences de son temps, de la grammaire à la parole dialectique (Ilmou Al Kalam), cette discipline dont le rationalisme dérange bien d’actuels intégristes, incite à répéter, inlassablement, avec le dernier des nomades, la méditation poétique de Tarava Ibn Al abd selon laquelle :
Les vestiges du campement de Khawla
Prés de la localité de Tahmad
Apparaissent de très loin
Telles les traces du tatouage au dos de la main

Par Abdel Kader Ould Mohamed - Juriste, ancien secrétaire d’Etat


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