Le discours que le président constitutionnel renversé, voulait adresser à la Nation   
30/11/2008

Le président constitutionnel renversé par coup d’Etat le 6 août et placé en résidence surveillée dans son village natal à Lemden (250 kms de Nouakchott) avait l’intention d’adresser un discours à la nation à l’occasion du 48 eme anniversaire de l’indépendance nationale,  célébrée le 28 novembre 2008.



Ce discours n’a pu être prononcé en raison du blocus sécuritaire imposé par la junte sur les journalistes présents à  Lemden,  la journée du 28 novembre et naturellement, du manque d’initiative de l’entourage du président renversé.

Voici le discours en question.

 

Mes chers compatriotes,
Je m’adresse aujourd’hui à vous, en ce quarante-huitième anniversaire de l’indépendance de notre pays alors que celui-ci traverse une phase particulièrement grave de son histoire.

Grave, en effet, car les espoirs nés des dernières élections législatives et présidentielles qui devaient permettre à notre peuple de s’engager enfin, grâce à la stabilité institutionnelle et à la concorde nationale, sur la voie d’un développement économique, social et culturel durable, ont volé en éclat le 6 Août dernier.

 

L’ambition d’un homme a mis fin, par la force des armes, à la légalité constitutionnelle, foulant aux pieds et la volonté populaire traduite à travers le verdict des urnes et les engagements pris devant la communauté internationale.


Ce verdict me donnait mandat, en conformité avec le programme sur lequel vous m’avez élu, d’engager, sur tous les plans, une politique novatrice en totale rupture avec les politiques et usages du passé.


C’est ainsi que je me suis interdit l’exercice solitaire du pouvoir, donnant au gouvernement et aux autres institutions de l’Etat la plénitude de leurs prérogatives, tout comme j’ai investi les chefs des forces armées et de sécurité d’un appui déterminé et d’une confiance totale en ce qui touche aux problèmes de sécurité.


M’efforçant d’être le Président de tous mes compatriotes, j’ai eu à cœur de me concerter souvent avec les acteurs politiques et sociaux du pays, élus, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition ou opérateurs économiques.

 

J’ai eu également à cÅ“ur de me mettre à la  disposition de mes autres compatriotes et de tenir à chacun le langage du respect et de la bienveillance, mais toujours celui de la vérité, loin de toute démagogie comme de tout autoritarisme.


Je sais que cette attitude a pu être parfois interprétée par certains, habitués qu’ils étaient pendant quelques décennies aux pouvoirs personnels et au culte de l’Etat, comme un signe de faiblesse, alors qu’elle traduisait en fait une volonté délibérée d’accréditer dans le pays une nouvelle culture politique, fondée sur la liberté et la dignité du citoyen.


Quant à la majorité qui, jusqu’au déclenchement de la crise provoquée, soutenait l’action du gouvernement, je lui ai demandé d’agir comme un aiguillon et un censeur de l’action du gouvernement, et non comme un soutien aveugle et flagorneur de cette action.

 

Dans le même temps, l’opposition jouissait de toutes les garanties que lui conférait la loi et de toute la concertation avec le pouvoir dont elle exprimait le souhait.
Par ailleurs, la restauration de la concorde nationale à travers le retour des réfugiés, la réalisation de l’émancipation sociale par la criminalisation de l’esclavage en vue du renforcement de l’unité de notre peuple, ainsi que la refondation de l’état de droit dans tous ses aspects, ont été entrepris en tant que prémices indispensables à tout développement économique et social.

 

Sur le plan économique, et comme chacun le sait, la situation au lendemain de mon investiture était, pour le moins, préoccupante. De fortes contraintes pesaient sur les finances publiques, avec un endettement global de l’Etat d’environ 700 milliards d’ouguiyas dont près du tiers sous forme de dette intérieure correspondant aux engagements du trésor et aux dettes des principales  entreprises publiques. Le budget initial de 2007 dégageait un déficit non prévu de près de 30 Milliards, avoisinant le montant du budget d’investissement sur ressources intérieures. Les difficultés d’alimentation en eau potable et en énergie électrique, aussi bien à Nouakchott qu’à l’intérieur du pays, rendaient difficiles les conditions de vie des citoyens et handicapaient sérieusement l’activité économique.

 

Le système éducatif ne parvenait pas à remplir sa mission de formation et d’éducation en réponse à la demande économique et sociale du pays. Dans le même temps, la plupart des indicateurs de notre système de santé étaient alarmants.


Aussi était-il indispensable et prioritaire de concevoir les réformes économiques et sociales appropriés à cette situation, assorties d’un programme d’investissement public ambitieux pour assurer la fourniture des services sociaux de base, dans le but de lutter contre la pauvreté, en réalisant une croissance économique plus soutenue et plus distributive.

 

Bien évidemment, la mobilisation des financements appropriés ainsi que l’instauration d’un climat attractif pour l’investissement privé international et favorable à la compétitivité de nos entreprises privées, constituaient les défis majeurs à relever.


Nos efforts dans ce sens ont, grâce à Allah, été couronnés de succès puisque, en moins de sept mois, nous avons préparé un programme triennal d’investissement et en avons obtenu le financement pour un montant de l’ordre de 3 milliards de Dollars dont 2,5 de concours extérieurs. Déjà les conventions signés totalisent 600 Millions de Dollars.


De plus, nous avons enregistré des intentions sérieuses d’investissements pour un montant de l’ordre de 6 Milliards de Dollars de la part d’investisseurs privés étrangers.


Tout ceci a pu être obtenu grâce la pertinence de notre programme triennal de développement, à l’exemplarité de notre démocratie et à nos orientations claires en matière de réforme de la gouvernance.


Au chapitre des services de base, nous avons pu en quelques mois atténuer les problèmes les plus urgents à Nouakchott et Nouadhibou en assurant la régularité de la fourniture d’électricité et en renforçant la conduite d’Idini ce qui nous a permis d’éviter en 2008 les problèmes que nous avons connus en 2007 juste après la formation du premier Gouvernement. Pour le moyen et le long terme nous avons pu obtenir, dans un délai record, un financement additionnel de 217 Millions de Dollars nous permettant de nous assurer de la réalisation  du Projet Aftout Essahli, de même que nous avons obtenu le financement d’une capacité additionnelle de 60 Méga Watt et d’engagements pour l’installation d’une capacité totale de 160 MW avec une grande centrale électrique à Nouakchott avant que ne soit engagées récemment des discutions avec la Société PETRONAS pour la construction d’une centrale à gaz de 700 MW.  


A l’intérieur du pays, le programme hydraulique d’urgence a permis de prémunir plusieurs dizaines de villages et agglomérations contre la soif qui les menaçait au cours de la période de soudure 2007 et 2008. D’autres progrès étaient attendus avec le financement amorcé du Projet du Dhar dont allaient bénéficier les villes de Néma, Timbédra, Amourj et Adelbagrou et avec le déblocage de la construction de la ligne de transport électrique Rosso-Boghé.


Les infrastructures routières ont fait l’objet d’un intérêt particulier. C’est ainsi que les conventions de financement pour la réhabilitation des routes Kiffa-Tintane et Nouakchott-Rosso ainsi que le complément de financement de la route Atar-Tidjikja, ont été déjà signées pour un montant avoisinant 270 Millions de Dollars. Le Port de Nouakchott, engorgé depuis plusieurs années, doit connaitre une extension qui aura pour effet de doubler sa capacité d’accueil.


Dans le domaine de la sécurité alimentaire, nous avons fait face à la hausse mondiale sans précédent des prix des denrées alimentaires et des produits pétroliers, en mettant en œuvre un Programme Spécial d’Intervention qui, de l’avis unanime des spécialistes dans ce domaine, dont le FMI, la FAO et d’autres agences des Nations-Unies, est exemplaire à plus d’un titre.

 

Outre la sécurisation des approvisionnements, la stabilisation des prix des principales denrées alimentaires et l’augmentation significative des salaires, ce programme a initié une politique nouvelle du secteur rural dont les résultats se traduiront cette année par un niveau de production sans précédent, comparativement aux résultats des campagnes agricoles antérieures, et à plus long terme par l’autosuffisance céréalière à l’horizon 2012 grâce à la réalisation d’aménagements agricoles nouveaux dont les discussions de financement avec nos partenaires extérieurs étaient déjà très avancées.


Dans le domaine de la lutte contre le chômage des jeunes, un programme d’insertion de près de 4000 jeunes chômeurs a été mis en œuvre, impliquant leur formation professionnelle et la mise en place des lignes de micro-crédit.


Quant à la promotion de la femme, elle a trouvé son illustration dans la nomination de plus de femmes au Gouvernement ainsi que la désignation, pour la première fois dans notre pays, de femmes dans des postes de chef de mission diplomatique et de commandement territorial. De plus, des financements importants d’Activités Génératrices de Revenus au profit des femmes ont été mis en place dans toutes les régions du Pays.


En matière d’habitat, la priorité a été accordée à la solution du problème des quartiers dits précaires (Gazra et Kebba) dans la périphérie des villes. Dans ce cadre, des populations des Mougataan d’El Mina, d’Arafat et de Nouadhibou ont déjà pu bénéficier de terrains viabilisés en 2007 et 2008. Cette politique était appelée à se poursuivre dans les autres quartiers de Nouakchott.


Dans le domaine de l’éducation, des réformes importantes ont été entamées et avaient comme objectif d’améliorer les conditions de vie et de travail des enseignants et des élèves (amélioration des émoluments du corps enseignant, distribution d’équipements et fournitures etc.). La mise en place de la commission préparatoire des états généraux de l’éducation devait aboutir à une réforme profonde du système éducatif dans son contenu comme dans son organisation en totale cohésion avec les données économiques culturelles et sociales du pays.


Dans le domaine de la santé, le Gouvernement s’est attelé à l’amélioration de la couverture sanitaire par la construction ou la réhabilitation ainsi que l’équipement de centres de santé dans 6 régions, à la revalorisation et au renforcement des ressources humaines et à la lutte contre les grandes endémies.


Sur le plan extérieur et grâce à la reconversion réussie de notre pays aux valeurs de la démocratie, la Mauritanie jouissait désormais d’une aura spécifique dans le monde, en particulier dans notre environnement Islamique, Arabe et Africain. De ce fait, notre apport à la construction du Maghreb Arabe, notre rôle au sein de l’Union Africaine, de la Ligue des Etats Arabes et de la Conférence Islamique, s’est trouvé renforcé, comme s’est consolidée notre position en tant que partenaire au dialogue euro-méditerranéen.

 

Mes chers compatriotes,

 

Certes, notre pays recèle des richesses importantes mais leur exploitation ne peut se faire efficacement sans l’appui de nos partenaires au développement et l’intervention du secteur privé aussi bien national qu’étranger. Par cet appui, que nous avons effectivement obtenu, le pays a amorcé l’acheminement vers un développement économiquement et social vigoureux.


Le coup d’état perpétré le 6 Août 2008 a mis en péril ces perspectives prometteuses. De plus, il risque, s’il n’est pas mis en échec, de priver le peuple mauritanien de la quiétude politique qu’il vivait depuis plus d’un an et de replonger le pays dans les abysses d’une dictature militaire obscurantiste.

 

Prenant notre peuple en otage, les putschistes tentent, à travers la politique du bâton et de la carotte, d’offrir au monde l’image d’un unanimisme de façade dont  les coups d’état successifs intervenus depuis 1978, ont amplement démontré le caractère fallacieux.


Notre peuple, qui avait commencé à prendre goût à la liberté et à recouvrer sa dignité, est engagé fermement dans le combat pour la défense de la démocratie. Les restrictions des libertés, la répression, les harcèlements, les persécutions ainsi que les inculpations, sous les prétextes les plus fantaisistes, des dirigeants du Front National pour la Défense de la Démocratie, notamment le Premier Ministre ainsi que de hautes personnalités dont un membre du Gouvernement et plusieurs anciens ministres, ne pourront l’en décourager.

 

Mes chers compatriotes,


Vous avez, à travers partis politiques, syndicats et organisations de la société civile, dans un sursaut national sans précédant, décidé d’affronter l’arbitraire et la force aveugle des putschistes pour préserver vos acquis en matière de démocratie et de liberté, dont vous savez qu’ils constituent la base de tout développement économique et social durable.


La Communauté Internationale qui exige le retour à l’ordre constitutionnel apporte, de ce fait, un appui important à votre combat.


Nous devons donc, ensemble, continuer fermement cette lutte, par tous les moyens pacifiques, en vue de mettre en échec cette prise de pouvoir par la force, de restaurer l’ordre constitutionnel, pour l’instaurer un système d’alternance pacifique au pouvoir, qui permet de s’adonner, en toute quiétude, à la lutte contre la pauvreté et à l’amélioration des conditions de vie de nos populations.

 

Ceci nous permettra de relancer la dynamique de développement, bien entamée lors de la période précédente, tout en corrigeant nos erreurs éventuelles.


Comme je l’ai déjà annoncé et comme je compte le confirmer dans quelques jours aux représentants de la Communauté Internationale, la mise en échec du coup d’état du 6 Août 2008, est, pour moi, la condition sine qua non de toute solution de sortie définitive de la crise que vit actuellement notre pays.


Mettant au dessus de toute considération d’ordre personnel, l’intérêt supérieur de mon pays, je voudrais réitérer ici ma disponibilité, une fois cette mise en échec opérée, à m’investir dans la recherche d’une telle solution loin de tout règlement de compte et dans un esprit de grande tolérance.


Vive la Mauritanie libre, démocratique et prospère.


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