Présentation du Roman "Et le ciel oublié de pleuvoir " de Mbareck Ould Beyrouk   
24/04/2006

Il y’a vingt ans, un groupe des jeunes intellectuels comprenant, entre autres, le regretté Habib Ould Mahfoudh , Mohammed Vall Ould Oumére, Lo Gourmô Abdul, Idoumou Ould Mohamed Lemine ont fondé sous l’impulsion de Mbarek Ould Beyrouk dit "Cheikhou" un journal "indépendant" dont l’intention affichée traduisait la profonde aspiration de toute une génération.



En effet, le buisson ardent allumé pour l’indépendance de l’esprit par ces éclaireurs de la liberté a très tôt fait de "Mauritanie -Demain" une joyeuse lumière dans le sombre royaume du non dit.
C’est que, plus qu’un feu, l’idée d’écrire la liberté, dans tous ses états et sous toutes ses formes fut le volcan qui a libéré des précieuses énergies et qui a engendré le genre critique voire satirique, chaleureusement accueilli, des inoubliables "Mauritanides".
Il serait, peut être, assez tôt pour dresser le bilan de la libre écriture pratiquée durant les deux dernières décennies que des serviles croques-mort, à la mode, prennent, dans leurs ridicules lamentations, pour du temps perdu.
Mais le fait que l’un des pionniers de cette mémorable liberté produise une synthèse romantique des thèmes qui ont, toujours, alimenté le débat contradictoire de la Mauritanie ne peut, en aucun cas, passer inaperçu..
La publication du premier roman de Cheikhou constitue, à cet égard, un heureux couronnement d’une violente insurrection qui a été dirigée contre la littérature de l’approbation,
Sur ce point, l’un des nombreux griefs qui ont été reprochés à l’écriture engagée est que celle ci se trouve, inévitablement, prisonnière d’une réalité des plus complexes. Il est bien difficile, en effet, pour qui se hasarde à disserter sur les sujets qui fâchent de ne pas heurter "la sensibilité rationnelle" des lecteurs mauritaniens auxquels un appel à témoin est, en définitive, adressé.
Avec ce splendide roman, le lecteur entraîné par le souffle de l’esprit et la magie des mots découvre que lorsque "le ciel a oublié de pleuvoir", une brutale confrontation entre le maître et l’esclave enfouie dans la légende des siècles à éclaté et qu’il faudrait, pour l’honneur de la République, une imagination aussi fertile que celle de l’auteur à fin d’évacuer tous les sujets réputés tabous.
Il se trouve, en réalité, que les visages, sans cesse, renouvelés, du drame, de triste actualité, dans lequel les rôles sont, tour à tour, inversés, ne sont pas, tout à fait, des inconnus.
On éprouve, forcement, de la sympathie pour Mahmoud l’esclave fugitif qui a construit, à sa guise, son destin mais on commence à le détester quand il feint d’ignorer que c’est l’un de ses maîtres supposés qui lui a indiqué le chemin de la liberté. On le méprise quand il se sert de la haute fonction publique pour traiter des citoyens avec la haine que lui inspire un passé révolu. S’il a bien le droit de protester contre "les antiques mensonges" des généalogies longues et ridiculement trafiquées, il ne doit, nullement, commettre une abjecte profanation en "pissant sur les tombeaux des pères des Oulad Ayat ainsi que sur les tombeaux des pères de leur pères".
Le puissant chef de cette tribu, Bechir, est, à première vue, un ogre qui "aboie quand il parle". Mais l’acharnement dont le parvenu Mahmoud fait preuve à son encontre, pour le détruire au profit des intrigants concurrents locaux, le transforme en une fragile victime. Il y’a, d’ailleurs, quelque chose de pathétique dans l’exposé des motifs de son attachement à l’honneur de la tribu souillé par une arrogance aussi stupide que déplacée.
Néanmoins, cette conception de l’honneur est contestée par Kebir, l’intégriste frère du chef lequel, avec pertinence, refuse la règle du jeu politico tribal mais dont la longue barbe rougeâtre et, surtout, les meurtrières "illusions fanatiques" indiquent le tragique chemin de Kaboul. A ce sujet, Mahmoud et Bechir semblent, d’ailleurs, adhérer à une commune préférence religieuse, quelque peu justifiée, pour l’inoffensif marabout Abderahmane lequel se contente d’enseigner
" le coran et des poèmes d’amour".
De tous les personnages du roman, c’est, cependant, Lolla, cette "génisse de Dieu" selon les termes galvaudés par Moulaye le fou, qui occupe le haut du pavé.
A elle seule, cette esclave effrontée symbolise l’irrésistible désir de liberté. Sa rébellion incarne ce qui menace le plus, l’ordre établi. Son ultime vérité qui se manifeste à travers une déstabilisante nudité est, en fait, un miroir tendu au prince nu.
En se révoltant contre ce qu’elle appelle "la piété du vendredi et l’impiété de tous les jours" elle traduit parfaitement les sentiments du petit peuple lequel estimant être, depuis la grande sécheresse, dans "une merde" a inventé, pour en sortir, le paisible néologisme "démerder". Allant au fond de la tragédie, l’auteur développe avec talent, une mystique de l’insolence. Au bout d’une lecture fluide, tout se passe, en effet, comme si le désir de liberté impliquait un voyage vers l’infini lequel s’exprime à travers la puissance du verbe, clairement, défini.
Les esprits orthodoxes qui pourraient lui reprocher une tendance à l’érotisme de la littérature des gares, ne doivent pas oublier que le Droit musulman est assez explicite en la matière et que de toute manière, ils nous ont toujours, enseigné qu’ "il n’y’ a pas de pudeur dans le savoir".
Par-dessus tout, il fallait bien que vienne le jour où l’un des fils de la vieille aristocratie maure, issu de "la tente de Beyrouk à Wad Noun" et qui porte dans ses veines le sang des incorruptibles Bambaras de Timbouctou, se lance, de nouveau, à l’assaut de la liberté qui, de tout temps, à été son unique raison d’être.
Ce combat devenu national depuis la fameuse indépendance, avait, peut être, aussi, besoin de mettre en scène la virulente expression secrètement admirée et subtilement attribuée, à la légendaire notre-dame "Fatma la petite esclave" (Fatma lekhouiedem) ; à laquelle "les haytistes" de la casbah d’Atar rattachent, injustement, la libre parole qu’ils n’osent pas assumer.
Mais au-delà de l’improbable dénouement du récit qui colle bien à la violence du langage se dessine un procès dramatique dont les protagonistes sont, au final, tous condamnés à être libres.

Par Abdel Kader Ould Mohamed - Juriste, ancien secrétaire d’Etat


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