Atelier Africa 21 sur le changement climatique : Le paradoxe mauritanien : Après le déluge, la soif au Guidimakha   
13/10/2020

« La population de l’intérieur du pays souffre et manque de tout, surtout l’eau et paradoxalement ce sont les populations de la Wilaya du Guidimakha, grandement arrosée cette année (2019) causant même des catastrophes, qui ont plus besoin d’eau aujourd’hui », ...



... déclare Kane Hamidou Baba, leader politique et sociologue.

En effet, seulement quatre mois au lendemain des précipitations massives et à cause du manque d’équipement en ouvrages d’art, l’on ne dénombre plus que quelques petits cours d’eau ; la sécheresse sévit dans presque toute la région du Guidimakha. L’espace, situé au sud-est Sud mauritanien, a connu une forte pluviométrie, pendant le mois d’août et septembre 2019 ; la plus grande quantité d’eau atteindra 270 mm, sans discontinuer en seulement soixante-douze heures (du 30 août au 1er septembre 2019), alors que l’isoète annuel y est de 700 mm, sans doute le plus important du pays.

Les averses cumulées sur une période aussi brève se soldent, en général, par un bilan lourd ; ici, il s’élevait à une dizaine de victimes humaines, la noyade du bétail et beaucoup de dégâts matériels. Les populations, surprises, malgré les antécédents du genre, ont dû réapprendre quelques réflexes de résilience. Les autorités, souvent en déficit de plan de contingence, ont tardivement accouru pour porter secours aux sinistrés. Les observateurs relèvent que les gouvernants ont opté pour des actions ponctuelles, de l’ordre de l’intervention humanitaire d’urgence ; certes, de telles réponses soulagent les sinistrés mais leur impact ne survit à l’instant. Au mois de janvier déjà, les populations commencèrent à sentir l’effet de la sécheresse. Un défi identique pourrait se manifester, sur le même espace, en 2020.

Selon l’expert météorologue Demba Sow : « Ce qui s’est passé, dans la région du Guidimakha, dont l’office de la météo avait bien publié une alerte 48h avant, c’est qu’il y avait un phénomène atmosphérique qu’on appelle "les ondes d’Est africaines", une ondulation des vents d’Est autour des 3000-4000m d’altitude, ce phénomène occasionne l’organisation des activités orageuses (et pluvieuses) sur une large région se déplaçant vers l’Est sur plusieurs jours (ce phénomène est bien prévisible) et génère donc des pluies intenses à grande échelle. »

L’expert l’explique par le fait que d’autres phénomènes, tel El nino, influencent la variabilité interannuelle des précipitations, la répartition spatiotemporelle de celles-ci mais également le début et la fin de la saison des pluies.

Pour lui, les changements climatiques vont sans doute modifier la configuration de la météorologie au Sahel-Sahara; cependant, il soutient que la communauté scientifique ne dispose d’une réponse définitive à la question: comment? « Tout ce qu’il y a, ce sont des scenarii », souligne-t-il.

Il est important, aujourd’hui, de mettre en place un service de prévision efficace – moyens humains et matériels - car il constitue la première brique du système d’alerte précoce, indispensable dans des pays climatiquement sensibles et vulnérables comme le Maghreb et particulièrement la Mauritanie, soutient le météorologue.

Et Mr Sow, d’ajouter : « Du point de vue météorologique, les pluies au Guidimakha ne sont pas extraordinaires. En septembre, nous sommes en pleine saison de pluie, la saison pendant laquelle la mousson, un vent du Sud à Sud-Ouest humide et chaud donc instable, est observée sur la région. Plus ces vents pénètrent au Nord, plus les pluies sont organisées (pluies à échelle régionale) contrairement à des orages sporadiques isolés qui n’occasionnent pas des grosses pluies ».

L’avis du praticien, sur le sujet, est battu en brèche par cet octogénaire du village de Sambakadji, un village dévasté. Mr Diarra témoigne, bien à rebours, « J’ai plus de 80 ans, voici notre quartier, il ne reste que des ruines, je n’ai jamais vu autant d’eau en espace de temps (3 jours). Il a toujours plu ici. La pluie de ces jours (30 et 31 août, et 01 septembre 2019), nous a étonnés et surpris. La quantité d’eau et sa violence sont inédites. En tout cas, moi, je ne me souviens pas avoir assisté à une pareille situation. Malgré cette grande quantité d’eau durant l’hivernage, à l’instar de plusieurs villages, nous avons, aujourd’hui à partir du mois de mars de chaque année, soif et les pâturages ne sont plus extraordinaires et cette année particulière avec ces inondations n’a pas fait exception ».


…. Boire à sa soif, un luxe

« Je quitte le village aux environs de trois heures du matin avec ma charrette pour parcourir plus de trois kilomètres à la recherche de l’eau. C’est une course vers un puits situé à l’Ouest du village, seul en cette période de soudure peut nous procurer ce liquide précieux. Et pour cela, il faut être parmi les premiers. Nos robinets pour dix litres, il nous faut parfois des heures d’attente tard la nuit », déclare Cheikhou, habitant du village de Daffort.

Les puits et forages principaux, sources d’approvisionnement en eau, tarissent par intermittence, dès mars. A partir de là, jusqu’à la saison qui suit - fin juin ou début juillet - les populations affrontent un calvaire effroyable qu’est la difficulté de se désaltérer. Ce cycle de stress hydrique prévaut, chaque année, depuis la fin de la dernière décennie du 20ème siècle. Le cycle des sécheresses d’ampleur, elles, date, sans discontinuer, de 1972.

Devant l’évidence du constat d’abandon de la zone, conséquence d’une léthargie des pouvoirs publics, nombre de journalistes, au sortir de l’atelier d’Africa 21 sur le changement des climats, se sentent mieux outillés à comprendre les dangers encourus par le Continent et ses habitants, à cause du dérèglement météorologique.

Pour cette partie du Maghreb qu’est la Mauritanie, les experts sont unanimes : les effets du changement climatique sont une réalité que les populations doivent comprendre pour penser aux nouvelles adaptations et ainsi affronter leur impact sur la santé publique, voire la survie des humains et du cheptel ; depuis des années déjà, le cas du Guidimakha renseigne assez sur le péril, ses conséquences et les opportunités de l’adaptation, qui est aussi l’autre nom de l’anticipation :

« Les changements climatiques annoncés risquent de rendre l’accès aux ressources en eau potable plus difficile pour une population déjà vulnérable dans la région. Le Guidimakha est sous l’effet du changement climatique depuis les années 2000 qui s’explique par les précipitations irrégulières et des températures très élevées, accentué par d’autres facteurs humains et environnementaux.Les éleveurs sont confrontés à la réduction des zones de pâturage à cause de la surexploitation des terres et de la sécheresse. L’agriculture pluviale vivrière dépend d’une pluviométrie fluctuante et mal répartie que les changements climatiques risquent d’aggraver », déclare NGaidé Alassane, hydraulicien.


… le Guidimakha dans l’eau, en manque, pourtant


Paradoxe, le Guidimakha, maintes fois inondé, se retrouve en pénurie : « On doit, dans cette partie du pays, opter pour la technique de ralentissement des cours d’eaux et créer des bassins de rétention d’eaux (maitrise d’eaux de surface), des solutions pour atténuer les effets de la sécheresse et recharger les nappes phréatiques. Les barrages, à cause de la géographie et de la nature du sol de la région, ne sont pas toujours rentables », soutient l’hydraulicien.

Pour l’agro-environnementaliste Balla Touré, « Le Guidimakha est un trésor agropastoral, un grenier national mal préservé. Il faut quelques petits ouvrages pour que la région soit autosuffisante sur le plan hydrique ; sa faune et sa flore vont se reconstituer ». Selon Touré, l’un des moyens principaux de résolution du problème consiste à créer des lacs artificiels ou bassins de rétention qui permettront de retenir l’excédent de précipitation, afin de recharger les nappes phréatiques et limiter, ainsi, l’assèchement des puits.

Aire à vocation agro-pastorale, le Guidimakha, selon le recensement 2013, est peuplé de 267.029 habitants. La densité par km2, s’avère globalement supérieure à la moyenne du pays. Sa superficie ne dépasse pas 10.000 km2 ; il s’agit de l’une des entités de peuplement les moins étendues du pays. A l’Ouest, la borne la région du Gorgol et, au nord-est, celle de l’Assaba. Au Sud, le fleuve Sénégal la sépare du voisin éponyme ; vers l’intérieur des terres, l’un de ses affluents, le Karakoro, la délimite du Mali.
La population, stupéfaite, ne parvient pas à expliquer une adversité de la nature dont la tradition orale ne rend pas compte. Le défaut d’expérience comparable dans la mémoire des anciens réduit la capacité de prévention et encourage, plutôt, jusqu’à la caricature, le refuge dans les spéculations occultes. La thèse d’un châtiment divin et la prière propitiatoire, en vue de faire tomber la pluie, découlent de cette panique face à l’inconnu. D’ici l’explication scientifique de la part des services en charge du climat – si tant est que la compréhension produise forcément un règlement durable - les gens du terroir ont épuisé les aides de commodité immédiate que l’Etat leur attribue, après ce genre d’épreuve. Les urbanistes, du moins ce qu’il en subsiste au sein de la fonction publique, continuent de tirer la sonnette d’alarme face à la multiplication de l’habitat précaire à l’intérieur de périmètres inondables où tout le quartier fut détruit, voire des villages entiers, à l’image Samabkandji. A force de bâtir des maisons à l’horizontale davantage qu’en hauteur, l’agglomération – fût-elle villageoise – empiète sur les champs ; ainsi, ironie du sort, les humains se retrouvent-ils en train de bâtir leur logis sur le sol qui les nourrit ; la tendance paraît peu réversible.


….le dysfonctionnement au Guidimakha, révélateur d’un tabou africain…


Ici et là, au Guidimakha, l’on ne parle nullement de « changement climatique » mais du « monde changé » ; l’accroissement des besoins des populations, dû à une démographie hors contrôle, accentue la pression sur les ressources non-renouvelables. Pour les besoins domestiques de bois de chauffe et aussi la rentabilité de court terme, les autochtones continuent à abattre les arbres ou louer leurs parcelles aux charbonniers. Bénéficiaires par ricochet, les agents des eaux et forêts s’adonnent au racket et prélèvent une ponction à la source de l’économie criminelle de la déforestation. La destruction à grande échelle se poursuit, chaque année, sous le regard d’autorités administratives et d’un centre de pouvoir que rien ne prédispose à appréhender l’enjeu de la pluviométrie : peu arrivent à établir un rapport causal entre précipitations, richesse de la faune et densité végétale, ironise Abdel Nasser El Yessa Soueid Ahmed, fonctionnaire de l’Union africaine, spécialiste des enjeux civils de la sécurité.
Il argumente: « Aux yeux de la majorité des décideurs et malgré des années de démenti factuel, la pluie serait une donnée constante, un acquis et son absence, un accident. Quand ils parlent d’agriculture et d’élevage, ils éludent le lien, quasi mécanique, entre pillage de la terre par l’homme et réaction violente de la nature. Ce lien, si évident et tragique, échappe encore à l’entendement des élites africaines, lesquelles préfèrent toujours rejeter la responsabilité des errements et faillite des politiques publiques, sur la colonisation et l’impérialisme ».
Or, plaide-t-il avec passion, la poussée démographique, la migration massive vers des espaces plus verts et bientôt pillés à leur tour, constituent, à ce jour, un vecteur de la guerre larvée parmi les civils que la doxa du développement tend à négliger ; à mesure que la terre s’appauvrit, la végétation et les sols s’érodent et augmentent, alors, les conflits pour l’appropriation de l’eau, des surfaces arables et des avantages résiduels de la cueillette, de la pêche et de la chasse. Les hostilités communautaires vont s’accentuer, au fil de la dynamique d’invasion-résistance ; il suffit d’observer l’ampleur de la migration climatique, du Sahel vers le Golfe de Guinée, pour saisir l’enjeu de demain : si la riposte multiforme tarde à traiter le nexus « démographie-désertification-violence », le Continent se rétracterait, bientôt, en champ de ruine, de famine et de peur. Les sceptiques vont crier à l’exagération et « un expert de quelque chose » viendra vanter les mérites de l’agriculture extensive ; son collègue économiste argumentera les avantages d’une main-d’œuvre bon marché et jeune au service de l’agriculture. Un troisième, sans doute élevé à l’optimisme anglo-saxon dès qu’il est question de création de richesse, vous persuadera des avantages d’une population nombreuses car celle-ci constitue un marché de consommateurs.
Que va-ton récolter et consommer dans un désert ? Et la pluie, dans tout cela ? Comment réaliser une poussée sociale entre les dunes de sables, si l’on ne dispose d’immenses richesses, à l’exemple des pétromonarchies ?


Camara Seydi Moussa,
Avec Africa 21


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