Il est 12h15. Sous un soleil de plomb, une foule de 200 personnes, au moins,
affublées de voitures de luxe, attend un événement. La majorité d’entre elles
appartient à une tribu commune (qu’on ne spécifiera pas dans ces lignes). Une
des femmes m’apostrophe à la vue de mon appareil photo. Son " instinct " lui
aurait sans doute appris que je suis journaliste. Elle tient à me faire savoir
la force que représente cette tribu -dont elle est en tout semblant membre- dans
le paysage politique et historique mauritanien. " Notre tribu a repoussé le
colonisateur français, nous seuls avons osé nous soulever contre lui "
martèle-t-elle vigoureusement. Derrière elle, ses trois suivantes approuvent
ses paroles en hochant la tête frénétiquement. "Nous sommes un peuple guerrier,
et ce pays est le nôtre ! " Reprend-elle plus violemment. Devant mon manque de
réaction face à ses rodomontades, elle tempère ses propos, en m’indiquant que le
tribalisme n’est pas l’apanage d’une ethnie spécifique du pays, mais de bien,
toutes les composantes autant noires que blanches. J’esquisse un sourire, et
elle enchaîne sur les points de vue que je devrais adopter pour d’éventuelles
photos de la foule, et quelques conseils d’écriture pour rendre compte de
l’événement. Un compte-rendu martyr, cela va sans dire. Une autre anecdote Ã
tonalité tribale concerne un monsieur venu au journal pour un problème personnel
qu’il souhaitait publier, sous peine selon ce qu’il y écrivait " de voir une
escalade tribale et sanguinaire" si sa demande de justice n’était pas prise en
compte. Une foule d’histoires qui nous ramènent à des notions de tribus, de
clans dont les répercussions sont délétères, pour la cohésion sociale. Encore
plus maintenant qu’auparavant d’ailleurs, du fait de la période relativement
incertaine que traverse la Mauritanie. Avons-nous besoin d’une crispation des
identités groupales. En ce moment, elles se manifestent à tout bout de champ, et
surtout en politique.
Des identités qui se manifestent politiquement Et dans le contexte dit de
transition démocratique par exemple, les partis politiques, finalement, ne sont
perçus qu’à travers les personnalités qui les dirigent, et non par les
programmes qui les définissent. A l’exception près des deux grandes villes
que sont Nouakchott et Nouadhibou, on peut parler en Mauritanie d’un vote
ethnique ou régional. On est aujourd’hui dans cet état d’esprit où, il n’existe
pas un Parti ou groupe politique qui ne soit pas apparenté à une ethnie, une
tribu, ou une région. Ne dit-on pas que le Prdr est traditionnellement le Parti
des Smassides, le PLEJ le Parti des négro-africains, et l’APP, celui des
haratines? Le RFD celui du Trarza ? La logique tribale, régionale, et
ethnique, est bien une réalité mauritanienne. L’ouverture démocratique loin
d’éradiquer ce phénomène, a plus ou moins servi comme étant une nouvelle forme
de manifestation des dynamiques sociales. Ce qui avait fait dire à Pierre
Messmer à propos de la perception politique chez les mauritaniens : "La
politique, en tant que telle, n’intéresse pas l’ensemble de la population
mauritanienne. Mais entre chaque tribu et chaque fraction, et au sein même de
chacune d’entre elles, il existe de vieilles haines, d’anciennes rivalités qui
se manifestaient autrefois à coup de fusils et qui, privées maintenant de cet
exécutoire illicite, trouvent dans les jeux de la politique un champ clos où
elles peuvent s’affronter librement. Telle fraction votera pour tel parti parce
que telle autre fraction, son ennemie séculaire, vote pour le parti opposé.
Ainsi s’explique la passion dont sont parfois empreintes, en Mauritanie, les
manifestations de la vie politique, passion qui n’est pas le signe de l’intérêt
porté par la population aux institutions nouvelles, mais plutôt celui de la
survivance de vieilles rivalités tribales nées de querelles autour de la
possession d’un puits, de la nomination d’un chef, ou de l’interprétation d’une
sourate du Coran". C’est suivant cette logique tribale et ethnique que les
partis et groupes politiques se greffent. Ainsi les partis politiques en
Mauritanie ne sont pas ces structures coordonnées ayant un objectif palpable,
mais reflètent tout simplement une affirmation moderne des antagonismes sociaux.
Les Partis politiques sont perçus à travers les personnalités qui les dirigent
et non par les programmes qu’ils définissent. L’exemple le plus frappant
demeure le Ravel, où on assiste à un déplacement massif des populations de
toutes les régions. Objectif de ces déplacements : prêter main forte à la tribu,
l’ethnie ou la famille le moment venu. Cette "tribalisation" du système
électoral, base même de tout système démocratique, montre bien le fossé qui nous
sépare d’une réelle unité nationale où le ciment serait un nationalisme
patriotique, au vrai sens du terme, sans aucun chauvinisme. On en est à mille
lieues pour le moment. Par Mamoudou Lamine
Kane mamoudoukane@hotmail.com
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