Tribalisme : Une réalité plus présente que jamais…   
18/04/2006


Il est 12h15. Sous un soleil de plomb, une foule de 200 personnes, au moins, affublées de voitures de luxe, attend un événement. La majorité d’entre elles appartient à une tribu commune (qu’on ne spécifiera pas dans ces lignes). Une des femmes m’apostrophe à la vue de mon appareil photo. Son " instinct " lui aurait sans doute appris que je suis journaliste. Elle tient à me faire savoir la force que représente cette tribu -dont elle est en tout semblant membre- dans le paysage politique et historique mauritanien. " Notre tribu a repoussé le colonisateur français, nous seuls avons osé nous soulever contre lui " martèle-t-elle vigoureusement.
Derrière elle, ses trois suivantes approuvent ses paroles en hochant la tête frénétiquement. "Nous sommes un peuple guerrier, et ce pays est le nôtre ! " Reprend-elle plus violemment. Devant mon manque de réaction face à ses rodomontades, elle tempère ses propos, en m’indiquant que le tribalisme n’est pas l’apanage d’une ethnie spécifique du pays, mais de bien, toutes les composantes autant noires que blanches. J’esquisse un sourire, et elle enchaîne sur les points de vue que je devrais adopter pour d’éventuelles photos de la foule, et quelques conseils d’écriture pour rendre compte de l’événement. Un compte-rendu martyr, cela va sans dire.
Une autre anecdote à tonalité tribale concerne un monsieur venu au journal pour un problème personnel qu’il souhaitait publier, sous peine selon ce qu’il y écrivait " de voir une escalade tribale et sanguinaire" si sa demande de justice n’était pas prise en compte.
Une foule d’histoires qui nous ramènent à des notions de tribus, de clans dont les répercussions sont délétères, pour la cohésion sociale. Encore plus maintenant qu’auparavant d’ailleurs, du fait de la période relativement incertaine que traverse la Mauritanie. Avons-nous besoin d’une crispation des identités groupales. En ce moment, elles se manifestent à tout bout de champ, et surtout en politique.

Des identités qui se manifestent politiquement
Et dans le contexte dit de transition démocratique par exemple, les partis politiques, finalement, ne sont perçus qu’à travers les personnalités qui les dirigent, et non par les programmes qui les définissent.
A l’exception près des deux grandes villes que sont Nouakchott et Nouadhibou, on peut parler en Mauritanie d’un vote ethnique ou régional. On est aujourd’hui dans cet état d’esprit où, il n’existe pas un Parti ou groupe politique qui ne soit pas apparenté à une ethnie, une tribu, ou une région. Ne dit-on pas que le Prdr est traditionnellement le Parti des Smassides, le PLEJ le Parti des négro-africains, et l’APP, celui des haratines?
Le RFD celui du Trarza ?
La logique tribale, régionale, et ethnique, est bien une réalité mauritanienne. L’ouverture démocratique loin d’éradiquer ce phénomène, a plus ou moins servi comme étant une nouvelle forme de manifestation des dynamiques sociales. Ce qui avait fait dire à Pierre Messmer à propos de la perception politique chez les mauritaniens : "La politique, en tant que telle, n’intéresse pas l’ensemble de la population mauritanienne. Mais entre chaque tribu et chaque fraction, et au sein même de chacune d’entre elles, il existe de vieilles haines, d’anciennes rivalités qui se manifestaient autrefois à coup de fusils et qui, privées maintenant de cet exécutoire illicite, trouvent dans les jeux de la politique un champ clos où elles peuvent s’affronter librement. Telle fraction votera pour tel parti parce que telle autre fraction, son ennemie séculaire, vote pour le parti opposé.
Ainsi s’explique la passion dont sont parfois empreintes, en Mauritanie, les manifestations de la vie politique, passion qui n’est pas le signe de l’intérêt porté par la population aux institutions nouvelles, mais plutôt celui de la survivance de vieilles rivalités tribales nées de querelles autour de la possession d’un puits, de la nomination d’un chef, ou de l’interprétation d’une sourate du Coran". C’est suivant cette logique tribale et ethnique que les partis et groupes politiques se greffent.
Ainsi les partis politiques en Mauritanie ne sont pas ces structures coordonnées ayant un objectif palpable, mais reflètent tout simplement une affirmation moderne des antagonismes sociaux. Les Partis politiques sont perçus à travers les personnalités qui les dirigent et non par les programmes qu’ils définissent.
L’exemple le plus frappant demeure le Ravel, où on assiste à un déplacement massif des populations de toutes les régions. Objectif de ces déplacements : prêter main forte à la tribu, l’ethnie ou la famille le moment venu. Cette "tribalisation" du système électoral, base même de tout système démocratique, montre bien le fossé qui nous sépare d’une réelle unité nationale où le ciment serait un nationalisme patriotique, au vrai sens du terme, sans aucun chauvinisme. On en est à mille lieues pour le moment.
Par Mamoudou Lamine Kane
mamoudoukane@hotmail.com


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