Afrique: Transfert informel de fonds: mode d’emploi d'une pratique répandue   
23/08/2018

Les transferts d’argent via les canaux informels concernent des montants colossaux en Afrique. Plusieurs facteurs expliquent qu’ils se développent à vitesse galopante.



Les transferts d’argent qui passent «de main à main», appelés aussi transferts informels, pourraient s’élever à environ 50% du total des transferts d’argent réalisés dans le monde. Le phénomène est encore plus important en Afrique où plusieurs facteurs font du transfert informel le moyen le plus usité pour envoyer et recevoir de l’argent.

En partie son succès tient aussi à sa simplicité. Par exemple, une personne A (expéditeur) domiciliée au Maroc qui souhaite envoyer un montant au Sénégal passe par un intermédiaire B au Maroc. Ce dernier contacte son partenaire-intermédiaire C au Sénégal, le plus proche du bénéficiaire du transfert, et lui demande de transférer le montant convenu avec l’expéditeur au bénéficiaire D dont le nom et le numéro de téléphone lui sont communiqués à l’avance. Le montant reçu par le bénéficiaire est bien évidemment ponctionné d’une commission qui est fixe, et qui tourne en général autour de 10% pour les sommes envoyées vers le Sénégal à partir du Maroc. Parfois aussi, le transfert se fait via un taux de change fixé entre l’expéditeur et l’intermédiaire.
 De même, un mauritanien résidant au Maroc qui souhaite envoyer en Mauritanie l’équivalent de 300 000 dirhams, contactera un intermédiaire au Maroc avec lequel il fixera le taux de change dirham-ouguiya. En général, ce taux tourne autour de 1 dirham pour 3,5 ouguiyas (nouvelles ouguiyas). En fonction du montant, du cours de change et de la demande, l’expéditeur peut négocier le taux à la hausse jusqu’à 1 dirham pour 3,7 ouguiyas.

L’intermédiaire installé en Mauritanie trouvera un client souhaitant acheter des marchandises au Maroc ou envoyer de l’argent à son fils qui y poursuit des études ou pour d’autres raisons (soins médicaux, tourisme, etc.) et qui aura besoin de dirhams au Maroc. Il facturera le montant à transférer à partir de la Mauritanie vers le Maroc au taux compris entre 3,7 et 3,9 ouguiyas pour 1 dirham et demandera à son intermédiaire installé au Maroc de transférer le montant convenu au bénéficiaire installé cette fois au Maroc. Ce procédé marche un peu partout en Afrique du fait qu’il est difficile d’effectuer une transcation financière internationale à cause de la réglementation et du coût des transferts via des institutions spécialisées.

Ainsi, avec l’informel, il n’y a pas de transfert effectif d’argent liquide entre l’expéditeur et le bénéficiaire, ni entre les intermédiaires installés entre les deux pays. Ainsi, le transfert échappe aux radars des régulateurs des pays concernés via des modes de compensation entre les intermédiaires situés dans les pays concernés par le transfert. Ce qui fait qu’aucune sortie de devises n’est enregistrée et le système n’impacte pas les réserves en devises des pays.

L’argent déposé chez l’intermédiaire au Maroc et provenant des transferts effectués par des Sénégalais, Mauritaniens, Maliens,…, est utilisée par les intermédiaires installés en Afrique subsaharienne pour financer des achats de marchandises marocaines, à assurer les frais d’étudiants subsahariens au Maroc,... sachant que les transferts ne sont pas toujours possibles via le secteur bancaire entre certains pays à cause des règlementations de change.
 Ce mode de transfert informel qui concerne plus de la moitié des transactions effectuées entre pays africains repose surtout sur la réputation des intermédiaires, car aucun document ne matérialise l’opération entre les protagonistes.

Et, pour des raisons juridiques, règlementaires, géographiques ou simplement de coûts, le transfert informel de fonds est parfois le seul moyen pour les migrants d’envoyer de l’argent. Et même dans les pays comme la France où il est possible de transférer de l’argent vers un pays africain, selon des conditions bien précises, le mode informel est dominant. Ainsi, plus de 60% des transferts d’argent entre la France et le Sénégal des migrants passent par le système informel.

Les nouvelles technologies, notamment la téléphonie mobile, n’ont fait que renforcer le développement de ce mode de transfert.

S’il repose uniquement sur la confiance entre les acteurs, il n’en demeure pas moins qu’il offre aussi de nombreux avantages, comparativement à celui des institutions financières de transfert d’argent et explique pourquoi de plus en plus de personnes y recourent.
 D’abord, le coût de transfert est un des facteurs qui explique le développement de l’informel. En effet, les coûts de transfert via les institutions financières spécialisées – Western Union, MoneyGram et Money Express- sont jugés élevés du fait que la concurrence y est faible. Car, les deux principaux acteurs du marché –Western Union et MoneyGram- pèsent plus des deux-tiers du volume d’affaires. Ainsi, pour un transfert formel, jugé plus sûr, il faut compter presque une commission de 10% du montant du transfert, sans compter les effets liés à l’évolution du taux de change. Selon la Banque mondiale, si au niveau mondial les coûts moyens de transfert de fonds sont de l’ordre de 6% de la somme envoyée, en Afrique, ces coûts frôlent les 12%. Pire, les transferts intra-africains atteignent des taux beaucoup plus élevés.

Or, le coût de transfert de l’informel est dans de nombreux cas beaucoup inférieur. S’il atteint parfois 10% du montant transféré, très souvent la commission tourne autour de 5-8% du montant envoyé.

Ensuite, ce mode de transfert permet de contourner la réglementation des changes des pays. Ainsi, un migrant subsaharien installé au Maroc et qui souhaite transférer de l’argent vers son pays d’origine –Sénégal, Mauritanie, Côte d’Ivoire, etc.- n’a d’autres choix que de recourir à l’informel à cause de la réglementation des changes marocaine qui ne permet pas des transferts d’argent à partir du Maroc.
 En outre, ce mode de transfert permet de contourner la réglementation relative au montant à transférer quand le transfert est permis. Ainsi, les montants transférés via ce canal vont de quelques dizaines d’euros à des dizaines de milliers d’euros, voire plus. Pour les gros montants, les intermédiaires se syndiquent pour offrir le service à leur client.

Ensuite, au niveau du continent, même dans les zones monétaires avec le Fcfa comme monnaie, ce mode est de plus en plus utilisé car la population est peu bancarisée, ce qui réduit les transfert d’argent via le canal bancaire.

Il y a aussi la rapidité étant donné qu’avec ce mode de transfert, les fonds sont transférés 7 jours sur 7 et le bénéficiaires peut entrer en possession de ses fonds, selon le montant, quelques minutes après la réalisation de l’opération.

Enfin, le transfert informel jouit aussi de l’avantage lié à sa proximité. En effet, les intermédiaires bénéficient globalement d’un réseau exceptionnel touchant même les parties les plus reculées du continent, notamment dans les zones dépourvues de réseaux d’agences bancaires et de bureau de poste. Mieux, certains intermédiaires, pour des montants élevés, se déplacent même chez le bénéficiaire du transfert pour lui remettre le montant dans des conditions maximales de sécurité.

Grâce à ces avantages, ce mode de transfert a encore de beaux jours devant lui. Du coup, il est difficile de traquer le blanchiment d’argent, la fraude ou le financement du terrorisme en Afrique du fait de la non traçabilité des transactions, malgré les efforts faits pour limiter les transferts illégaux depuis les attentats du 11 septembre 2011.
le360.ma


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