Paysage politique national : Le champ de la confusion    
03/04/2006

S’il est un thème qui, plus que tout autre, attire , aussi bien par sa brûlante actualité que par son intérêt pour l’avenir du pays, les regards des analystes et autres commentateurs, volontaires ou sollicités, c’est bien celui de la déroutante recomposition du paysage politique mauritanien.
C’est, sans doute, de cet intérêt que découle le constat relatif à la réalité et à "la manière" d’une telle recomposition. De ce constat qui fait l’objet d’une analyse parue dans la troisième édition en date du 23 février 2006 du journal "Tahalil" signée par le directeur de la publication Isselmou Ould Moustapha., se dégage, entre autres, la conclusion tenant à l’inadaptation, dans le contexte mauritanien de la grille de lecture "hexagonale" à laquelle certains chroniqueurs ont tendance à succomber.



Il est vrai que l’opacité du paysage en question est susceptible de dérouter les observateurs les plus avertis et même de les égarer, malgré ou à cause de leurs " loupes", dans une totale obscurité.
Le sujet est d’autant plus déroutant que les esprits censés éclaircir l’horizon se trouvent, eux même, quelque part, déboussolés par la tourmente dans ce champ de la confusion.
Mais il faut, tout de même, souligner que sans le débat contradictoire animé depuis 1991 par tous ces éclaireurs, écrivains, journalistes, hommes politiques de divers horizons etc. qui se trouvent, aujourd’hui, submergés par le vacarme assourdissant des prétentions démesurées, la petite bougie , allumée au milieu des ténèbres, se serait éteinte.
Au demeurant, si l’on en croit une certaine morale de la distance il faut établir une échelle de la reflexion en fonction de l’intérêt qu’elle porte pour les querelles des personnes, l’emprise des événements et l’indispensable débat d’idées.
C’est précisément dans la perspective de ce débat porteur d’espoirs que des notions, des concepts, des valeurs ou des expériences vécues qui appartiennent à d’autres espaces pourraient, contribuer au diagnostic d’un paysage politique, quelque peu exotique.
De nos jours, l’une des questions fondamentales est de savoir si par rapport à des pratiques politiques décriées mais solidement enracinées, un réel projet alternatif se dessine à travers "la décomposition" imprudemment annoncée d’un pole dominant auquel certains "ex- opposants radicaux", obsédés par la conquête du pouvoir reprochaient le même mode d’adhésion et le même comportement politique qu’ils s’empressent, aujourd’hui, d’adopter.
Les pratiques incriminées résultent, globalement, d’une culture d’approbation et d’ "un clientélisme" socialement encouragé ou pour reprendre l’expression d’un politologue mauritanien, d’ "une illusion bien fondée" qui tient à la mobilisation des ordres segmentaires (tribal, ethnique, racial …) dans l’action politique.
Il est, certes, assez tôt pour se prononcer sur la recomposition actuelle du paysage politique qui s’est traduite par une multitude de tendances revendiquant "le renouveau" et même "la rupture" mais il faudrait bien prendre le soin d’observer le comportement de ces nouvelles tendances vis-à-vis des pratiques, théoriquement, décriées.
Il reste entendu que ce constat qui vise, avant tout, un essai de catégorisation n’implique pas, forcement, de notre part un jugement de valeur dans la mesure où les partis, soumis à l’effet multiplicateur du désordre en cours, ne renseignent pas suffisamment sur la nature de l’engagement politique de leurs militants réels ou supposés. Ainsi, de nombreux modernistes ou réformistes peuvent se retrouver dans un présumé "camps conservateur" et il n’est pas exclu que des foules de conservateurs, soucieuses, comme d’habitude, de régler des comptes à leurs irréductibles adversaires locaux , apportent un précieux soutien à des chantres de "la rupture".
Par ailleurs, s’il est communément admis que l’éclatement des courants idéologiques a considérablement bouleversé les positionnements politiques des anciens leaders d’opinion, le courant islamiste demeure dans son essence, malgré une tendance "gauchisante", un nationalisme religieux conservateur qui se nourrit , goulûment, de " la Mauritanie traditionnelle". De ce point de vue, il n’est pas, tout à fait, curieux, comme cela a été souligné, que "le meilleur soutien apporté aux islamistes au sujet des candidatures indépendantes leur vienne du parti républicain".
Il est, cependant, vrai que les données théoriques et purement indicatives, s’effacent devant la prise en considération de la ligne de partage qui séparait l’ancienne majorité de l’ex-opposition et qui permettrait, dans le contexte actuel, de mesurer l’ampleur des mutations en cours..
Mais c’est, sans doute en fonction de la nature et du degré de la rupture annoncée par les uns et par les autres que le clivage opposera, à travers les styles adoptés et non les programmes "standards", ceux qui au nom des principes vertueux s’inscrivent en faux contre "des pratiques politiques susceptibles de perpétuer le système de domination" et ceux qui , en vertu d’un réalisme bien politique, font un usage volontaire et assumé de ces pratiques.
A ceux qui sont "avides d’atteindre le sommet de la montagne sacrée" la voix éternelle de la sagesse rappelle que le chemin le plus court n’est pas celui qui passe par la compromettante réalité. Mais si , bien avant Machiavel, la politique a fait le deuil de l’idéalisme il n’en va pas de même de la logique, laquelle fait, de nos jours, figure d’un irremplaçable objet perdu.
Dans la catégorie des "Démocraties sans démocrates" , la Mauritanie se distingue par la persistance, à une grande échelle, de "la culture sultanienne" si bien décrite par Abdel Weddoud Ould Cheikh et à ce titre, elle, constitue un véritable laboratoire d’anthropologie politique.
Le chef , même transitoire, a toujours raison. II trouvera , en tout cas aisément , un soutien de l’opinion animée par des politiciens pour décréter que son cheval qui a, incontestablement, perdu la course était en fait le premier dans le classement. Or, la rupture avec cette mentalité d’un autre age produite par la crainte et l’obéissance à l’autorité, se heurte, souvent, aux incohérences de l’obsession du pouvoir laquelle autorise des tragiques atteintes à la vérité. C’est, peut être, pour cette raison que l’esprit Zuni, évoqué dans un étincellent essai de Mohammed Yehdih Ould Breideleil, érige l’ambition en délit. Et c’est sans doute la même raison qui a conduit les gens de ‘‘la Sunna wa Al jama’a’’ (les sunnites) de chez nous à considérer que l’obsession du pouvoir constitue un vice dans l’investiture de l’imam (le dirigeant de la communauté). S’ils acceptent le maintien du pouvoir par la force et même le coup d’état sans effusion de sang, c’est uniquement, à titre préventif . Car dans leur esprit "éviter le mal prime sur la recherche du bien" et s’ils ont, en partie, cautionné la création administrative de la Mauritanie par une puissance étrangère, de surcroît chrétienne, c’est parce qu’il se souciaient, avant tout, de la sécurité.
Pendant l’hiver 1884, à la veille, donc, de la dite création, une entrevue eut lieu, nous rapporte Ahmadou Mahmadou Ba, dans le sud du Tiris entre l’Emir du Trarza Ely Ould Mohammed Lehbib et son homologue de l’Adrar Ahmed Ould M’hamed , l’émir de la paix. Lors de cette rencontre, l’émir du Trarza "rendit un éclatant hommage aux belles vertus d’Ahmed Ould M’hamed et fit l’éloge de son œuvre qui avait, dit- il , exercé la plus heureuses des influences sur les pays voisins". Mais il laissa, en guise de conclusion entendre que la stabilité de l’ Emirat de l’Adrar ne tenait qu’au "sens de la justice" personnifié par son chef. La suite est connue. La brutale disparition des deux émirs soucieux de la sécurité et de la prospérité de leurs sujets plongea une partie du pays dans le chaos qui a été le principal argument de "la pacification coloniale".
Cette référence à deux hommes politiques de la fin du 19éme siècle peut paraître surprenante dans le contexte de l’Etat national qui ne saurait être réduit à une compétition des mémoires entre les Emirats du Trarza et de l’Adrar ni d’ailleurs, faut -il le signaler, à une suspecte concurrence entre les récents "temps des marabouts", présidents de la république, issus de ces deux régions .
En effet, poursuivant une délicate synthèse de la pluralité qui résulte de la multi-ethnicité , de la complexité tribale et surtout de la diversité d’un ordre social injustement inégalitaire, l’Etat national s’est fixé des idéaux inspirés des "hexagonales valeurs républicaines" de citoyenneté, d’ égalité devant la loi, de liberté etc. C’est, d’ailleurs, à cette fin que des solutions "modernistes" allant du parti unique au multipartisme ont été essayées.
Mais le niveau de l’évolution de l’idée de l’Etat national dans les mentalités des citoyens conduit, malheureusement, à penser que la réflexion de l’émir du Trarza, garde, au plan national, toute sa perspicacité.
Le progrès "du sens de la justice" qui ne peut plus être personnifié comme du temps de l’émir et qui a été institutionnalisé par "l’Etat du Droit" dépendrait de sa diffusion, largement déficitaire, au sein de l’opinion publique et surtout de la crédibilité de la classe politique.
Il faut bien espérer pour l’évolution de ce "sens de la justice" que les échéances promises puissent nous édifier sur une nouvelle ligne de partage évoquée par de nombreux commentateurs et qui résulterait du choix entre la duplicité et la sincérité.
En attendant cet indispensable choix sur le fond, il n’est pas interdit de rêver en alignant les comparaisons, certes, aléatoires mais, peut être, instructives, des expériences des autres peuples qui ont réussi à intégrer l’alternance dans leurs usages et coutumes.
A ce propos, la longévité du règne des conservateurs en Grande Bretagne faisait dire à leurs voisins français que "les Anglais roulent à gauche mais font la politique à droite" mais durant de longues années, avant la première alternance de la Veme République qui s’est produite en 1981, avant ce mémorable soir de mai dans lequel un pragmatique conquérant, initialement de droite, conduisit aux cris de "unido, el Pueblo sera jamas vencido" le "peuple de gauche" aux portes de l’Elysée, les Gaulois se sont bien contentés de penser à gauche et de voter à droite.


Par Abdel Kader Ould Mohamed
Juriste, ancien Secrétaire d’Etat


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