Souleymane KonĂ©, ancien Ambassadeur du Mali en Mauritanie:   
10/02/2015

"L’espoir d’un Mali uni et réconcilié, démocratique et prospère s’éloigne chaque jour un peu plus"
C’est peu dire qu’en moins de deux ans de pouvoir de IBK, le Mali est partagé entre la douleur de l’effondrement continue de sa nation et l’angoisse d’une guerre civile.



L’espoir d’un Mali uni et réconcilié, démocratique et prospère que nos concitoyens avaient placé dans la gouvernance promise par le Président s’éloigne chaque jour un peu plus; jamais le Mali n’a été autant divisé dans son histoire récente.

La classe politique est totalement compartimentée et classée en patriotes, apatrides ou aigris, selon que l’on soutienne ou non la majorité présidentielle. La motion de censure présentée par l’opposition a été le signe révélateur d’un tel comportement chez les tenants du pouvoir chez lesquels une vision réductrice de la nation tient lieu de discours de réconciliation. La violence verbale s’est installée dans le style de la gouvernance en cours. La jeunesse qui, au lendemain des élections présidentielles de 2013, pouvait presque toucher des mains l’espoir d’un Mali uni, démocratique et prospère, n’a plus que ses yeux pour pleurer. Toutes les nominations de jeunes ont un lien avec l’appartenance à la famille ou au clan du Président. L’octroi des marchés publics suit les mêmes sillons sociaux.

La lutte contre la corruption promise dans la campagne est, par moments, devenue une stratégie d’intimidation des adversaires politiques avant d’être remisée dans les tiroirs. La fonction d’opération cosmétique de celle-ci vis-à-vis de l’extérieur ayant disparu, faute de crédibilité auprès de nos partenaires après les scandales de l’avion présidentiel et des équipements militaires. Jamais la gouvernance financière du Mali n’a été aussi opaque. L’utilisation abusive de l’article 8 du code des marchés publics témoignait de la volonté d’enrichissement personnel de certains acteurs-clé du régime. Le regard de l’extérieur sur un pays conditionne les investissements et les possibilités de soutien de toutes sortes. Le Mali sous IBK n’offre comme image à nos partenaires que les scandales financiers et les ordures domestiques. Ce qui impacte lourdement les capacités de mobilisation de fonds pour le pays. Le résultat de cette façon de gérer conduit à une grave menace sur l’ensemble national.


Sécurité collective hypothéquée

Le sentiment d’abandon chez une partie des populations va en grandissant, le PrĂ©sident Ibrahim Boubacar KĂ©ita a quittĂ© Bamako le 20 janvier 2015, date symbole pour notre armĂ©e s’il en fut, pour une marche de soutien Ă  la libertĂ© d’expression en France, dit-on. Le 26 Janvier, on tire sur un Officier GĂ©nĂ©ral en plein Bamako; le 27 janvier, la ville de Gao s’enflamme au cours d’une marche de protestation: le prĂ©sident, imperturbable continue son sĂ©jour Ă  l’extĂ©rieur. Celui qui a publiquement dit qu’il n’a pas peur d’affronter le peuple malien  confirme son optique de ne jamais rendre compte.


Ce qui est caractĂ©ristique de la prĂ©sidence actuelle, c’est  aussi son incapacitĂ© Ă  la compassion avec les Maliens quand ils sont victimes de la nature ou des groupes armĂ©s et terroristes.

Par exemple, Ă  peine Ă©lu, il y eut des inondations Ă  Bamako. Devant ce sinistre, le prĂ©sident a prĂ©fĂ©rĂ© faire le tour des chefs d’Etat qui ont financĂ© sa campagne que de rendre visite aux sinistrĂ©s. Des voix s’étaient Ă©levĂ©es Ă  l’époque pour attirer son attention: ce fut peine perdue. Il y eut les noyades de Mopti avec plus de 80 victimes, les incendies des marchĂ©s de Bamako. Le mouvement informel « Je suis Nampala » lui reproche les mĂŞmes faits: depuis les attaques de Nampala, Djoura et Tenenkou, DouĂ©kĂ©rĂ©, Goundam etc., le prĂ©sident n’a pas pu compatir Ă  la douleur et Ă  la dĂ©tresse de ses compatriotes. Qu’est ce qui explique ce  manque de compassion d’un prĂ©sident devant la dĂ©tresse de son peuple ? Nul ne le sait, mais le constat est que de toute l’histoire politique du Mali indĂ©pendant, aucun prĂ©sident n’a Ă©tĂ© aussi distant, en si peu de temps, de son peuple. Faut-il le rappeler, plus que les triomphes personnels ou collectifs, ce sont les deuils qui ont ressoudĂ© cette nation ! Il nous souvient l’évĂ©nement tragique de la mort, le 23 septembre 2006, des jeunes du « Mouvement citoyen », lorsque tous rĂ©unis au stade Mamadou KonatĂ©, des membres du RPM et nous mĂŞme, nous tenant par les mains, avions toutes les difficultĂ©s du monde Ă  cacher les larmes qui coulaient sur nos joues. Il en fut de mĂŞme pour la mort accidentelle, le 30 septembre 2006, des lycĂ©ens de retour de vacances de Gao. Dans ces deux cas, l’Etat avait su mettre l’émotion du peuple au bĂ©nĂ©fice de l’unitĂ© nationale. L’organisation d’un deuil national pour des circonstances comme Nampala ou Gao nous aurait permis de faire partager la douleur des victimes Ă  l’ensemble du pays; en mĂŞme temps qu’elle nous aurait permis de tirer des Ă©preuves un renforcement de l’unitĂ© nationale qui se dĂ©lite de jour en jour depuis la crise institutionnelle et sĂ©curitaire. Si le prĂ©sident IBK a pu aller aider la France Ă  le faire chez elle, qu’est ce qui l’empĂŞche de le faire chez lui, au Mali ? Mystère !


Aujourd’hui, les mauvais calculs nous mènent à la dérive.

Ils ont permis de renforcer la rĂ©bellion touareg et crĂ©er les conditions favorables Ă  une partition de fait du pays. La visite inopportune de Moussa Mara Ă  Kidal n’a semĂ© que dĂ©solation. Il en est rĂ©sultĂ© une absence totale de l’Etat Ă  Kidal et le reflux de l’Administration malienne dans toutes les rĂ©gions du nord. Le Mali a perdu tous ses acquis administratifs, politiques et militaires dans les rĂ©gions du Nord Ă  la veille de nĂ©gociations que tout le monde prĂ©voyait cruciales pour notre avenir commun. Aucun hommage national n’a Ă©tĂ© rendu aux victimes. Pire, cette visite a condamnĂ© notre armĂ©e Ă  l’errance ou au cantonnement sur son propre territoire. La sĂ©curitĂ© du Mali est sous-traitĂ©e Ă  des Ă©chelons divers dont le plus visible semble ĂŞtre celui  tenu par des groupes armĂ©s d’autodĂ©fense. Enfin, les ressources de l’armĂ©e ont servi Ă  enrichir des cercles mafieux sans qu’aucune sanction crĂ©dible ne soit en vue. Pendant ce temps, le PrĂ©sident et son gouvernement ont de  l’aversion pour tout dĂ©bat national en vue de renforcer la cohĂ©sion nationale avant que d’aller nĂ©gocier  avec les groupes qu’ils ont contribuĂ© Ă  consolider par leurs maladresses. Pourtant, un dĂ©bat national aurait  eu la vertu de donner aux nĂ©gociateurs du gouvernement plus de poids, de lĂ©gitimitĂ© et mĂŞme de certitude d’avoir un consensus national minimal, pour certains points qui font l’objet des discussions. C’est un gouvernement affaibli, acculĂ© Ă  l’intĂ©rieur comme Ă  l’extĂ©rieur, qui quitte Bamako pour les nĂ©gociations qui engagent l’unitĂ© de la nation. Devant ce tableau angoissant, plutĂ´t que de poser les vĂ©ritables jalons d’une rĂ©conciliation nationale, le prĂ©sident Ibrahim Boubacar KĂ©ita s’enferme dans une quĂŞte effrĂ©nĂ©e de revanche sur ses adversaires politiques. Le pouvoir s’épuise  dans des arguments pĂ©riphĂ©riques oĂą aucune question de fond n’est abordĂ©e. PlutĂ´t que de rĂ©pondre aux arguments politiques avancĂ©s par les partis de l’opposition, le pouvoir a toujours prĂ©fĂ©rĂ© s’engluer dans les invectives, les attaques personnelles et les menaces. Notre pays est dans la  dĂ©prime pendant que le pouvoir tourne  Ă  vide.

(Le républicain)



maliactu.net


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