Les Haratines, le devoir de s’assumer   
31/07/2007

Prenant pour prétexte le discours du Président de la République à la nation le 29 juin dernier, annonçant la volonté de l’Etat d’assurer le retour des réfugiés mauritaniens installés au Sénégal et au Mali depuis les douloureux et regrettables événements de 1989, certains individus, issus de famille ou de tribus anciennement dominantes, face à la perte, à la dissolution progressive et inévitable de cette position de droit et de fait, pour certains d’entre eux, en raison d’une démocratisation qui semble, en dépit des pièges qu’ils lui tendent, s’installer durablement, exagèrent leurs prétentions en voulant incarner à eux seules toute la Mauritanie et en s’arrogeant le droit et même le devoir d’en définir la citoyenneté, la culture et la vocation.



Par conséquent, tous ceux qui ne partagent pas leur conception ou s’opposent à eux, surtout s’ils sont haratines qui se disent bidhanes, s’excluent à leurs yeux, non seulement de l’ensemble maure, mais aussi de la citoyenneté mauritanienne.
Or il nous paraît parfaitement légitime et défendable que les haratines puissent s’identifier aux arabes (ou même aux négros–africains) dès lors que ce choix s’inscrit dans une démarche consciente, loin de toute manipulation idéologique tendant à éveiller ou plutôt Ã  susciter et à enraciner chez eux la haine de l’autre. Etre bidhani (maure) n’induit pas nécessairement le désir de nier la citoyenneté de nos compatriotes injustement éloignés de leur patrie, encore moins le refus de l’altérité culturelle.
C’est pourtant ce dont tentent de les persuader, dans les bus, les kebbas, et tous les endroits obscurs et misérables, ces individus connectés certes à des forces réactionnaires, comme le pense Abdel Nasser Ould Yessa, mais aussi et surtout à une époque et un contexte qui ne survivent que dans leurs cerveaux malades. Ils s’ingénient à les convaincre d’une arabité dont ils seraient inconscients, que leur appartenance à la communauté maure passe – forcément – par l’opposition active au retour des négros africains déportés, «parce que, leur disent-ils, ils modifieraient les rapports démographiques et vous retireraient ’’littéralement’’ la nourriture de la bouche Â».

Pourtant cet amour subit et quelque peu étouffant pour les haratines ne doit pas tromper. D’abord l’échec de leur intégration historique à la Assabiya du maître, en raison de l’impossibilité où se trouvaient le hartani d’épouser une «cousine» bidhaniya, car la coutume voulait que celle-ci n’épouse que son égal ou son supérieur, suffit à expliquer la présence, au sein du même ensemble, de deux groupes distincts dont les intérêts ne sont pas, au moins au point de départ, identiques. C’est que dans l’imaginaire maure, les haratines appartiennent à l’univers soudan (noir), caractérisé par la magie, c’est-à-dire la sorcellerie.

D’autre part, ce sont ces mêmes individus qui, lorsque l’ex-Président Maawiya nomma au poste de 1er ministre un hartani, décision jugée même par les ennemis du pouvoir de l’époque, comme une avancée non négligeable sur la voie de l’intégration des haratines, se dirent scandalisés qu’un hartani puisse être ainsi porté à une telle hauteur dans la sphère du commandement. Ils invoquèrent – pour les donner implicitement en modèle à suivre – le souvenir des sociétés grecque et romaine, non pas pour ce qu’elles ont apporté à l’humanité en terme de valeurs philosophiques et républicaines, mais bien plutôt parce qu’elles eurent des sociétés « rationnellement Â» hiérarchisées dans lesquelles les esclaves, les femmes et les étrangers étaient exclus du jeu politique. Ils ne surent pas voir que c’est au nom des principes de la raison et de la démocratie que cette architecture sociale fut remise en cause et combattue.

C’est aussi un des leurs, conscient des obstacles, qu’ils contribuent à entretenir, qui se dressent face à l’intégration économique, sociale et politique des haratines dans l’ensemble bidhane et de la nécessité impérieuse de les mobiliser aux côtés de ces derniers, qui tenta récemment de falsifier leur origine ethnique pour justifier à moindre frais leur instrumentalisation au service d’une cause sectaire qui n’est pas seule de tous les bidhanes.

En fait les haratines dont les origines historiques (Autochtones, Razzias, commerce servile…) et raciale (noirs majoritairement, il est vrai mais aussi blancs ou métis) sont visiblement hétérogènes, tiennent leur unité essentiellement de leur statut dans l’ensemble maure. Or celui-ci était marqué par l’esclavage, l’injustice et l’indifférence, il ne saurait donc les porter vers les idéologiques exclusivistes quelque soient les supériorités qu’elles cherchent à promouvoir. Puisque l’esclavage n’est plus un trait essentiel dans la situation actuelle des haratines, et que seules des gens, dont la mentalité, structurée par une réalité dépassée, continuent obstinément à croire qu’on peut l’éradiquer par des lois, les haratines doivent inscrire leurs revendications autour d’une meilleure répartition des richesses du pays entre ses citoyens, un accès plus sérieux au pouvoir politique, administratif et économique. Nous ne sommes plus à l’ère de la revendication de la liberté (que nous continuerons à demander pour ceux qui en sont exclus) mais à celle plus décisive de l’égalité.

On l’aura probablement bien compris : il ne s’agit pour eux d’occuper aucun centre déserté, ni d’équilibrer deux positions extrêmes qui se repoussent mutuellement, encore moins d’investir le créneau que pourrait représenter dès lors leur culture arabe et leur race noire, mais plus modestement d’occuper la place qui leur convient aux côtés des citoyens justes qui croient à l’unité, à la cohabitation et au partage du pouvoir et des ressources entre les habitants de ce pays.

Cette position nous paraît la seule qui vaille si nous voulons éviter la déception qu’a dû connaître cet officier supérieur qui se croyait définitivement intégré, adapté à propos duquel un «cousin» bidhani vexé, Ã  la suite d’une sombre histoire de dénonciation, semble-t-il, eut la réflexion raciste suivante : « n’achète jamais un esclave sans un bâton avec Â».

R’chid ould Mohamed.


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