Le personnage central qui avait été le porte- étendard de la première véritable guerre que les Beni Hassan avaient livré, en 820 de l’hégire (1417 de l’ère chrétienne) au Sanhadja était, incontestablement, l’ancêtre des Kenta, Sidi Mohamed El Kenty. Mais il semble qu’il y’avait, aussi, un autre personnage qui portait le nom de Ededde ou Addad dont les traces ont, pratiquement, disparu.
Tandis que le premier réussit à mobiliser les diverses fractions des Oulad Nasser ainsi que les cousins de ces derniers issus d’autres tribus des Beni Hassan, le second a , quant à lui, rassemblé une forte opposition au pouvoir des Abdoukel qui se composait des groupements Sanhadja hostiles , notamment ceux de la confédération Anieurzig et autres . Ce personnage quasiment inconnu que certaines sources confondent avec Bebbe, le personnage de la guerre de char bebbe que nous évoquerons ultérieurement, avait, en fait, réussi à coaliser tous ceux qui, à l’intérieur des limites de l’Etat lemtounien ou dans les environs, ont souffert de la domination aussi arrogante que brutale des Abdoulkel. Contre ces derniers, la guerre menée avec l’appel d’un saint marabout aux Beni Hassan, avait , d’ailleurs, au niveau du Droit musulman ( Fiqh) trouvé un fondement dans la fatwa du juge de Tinigui , Yacoub Al jakany lequel s’était prononcé en faveur de la légalité du combat (Djihad) contre les Abdoukel. Dans cette optique convaincante pour ceux des opposants qui nourrissaient des scrupules religieux, le juge s’était appuyé sur un document qui lui avait été remis par l’ancêtre des Kenta. C’est dans ces conditions que la guerre contre l’Etat Abdoukel fut déclenchée. Elle fut, durant vingt ans, une période d’instabilité marquée par les assauts meurtriers des Beni Hassan, les coups de poignard au dos que les opposants Sanhadja et autres portaient au pouvoir des Abdoulkel. Il semble que ces derniers avaient été tenaces et que leur défaite finale a eu lieu dans des circonstances imprécises dans lesquelles les déboires des coalisés avaient conduit à l’intervention d’une armée soudanaise soucieuse d’achever le tigre blessé. La dissolution de l’Emirat des Abdoukel fut l’objet d’un accord entre les coalisés. Ainsi il a été décidé que la classe guerrière de l’émirat devrait, désormais, s’acquitter des redevances ( Mahgarim) au profit des tribus victorieuses , notamment des Oulad Nasser et des tribus guerrières issus de la confédération Sanhadja de Anieurzig. Le statut des groupements Abdoukel qui s’étaient, auparavant, spécialisés dans le domaine de la religion et du savoir , n’a pas été, quant à lui , modifié conforment aux engagements que les Oulad Nasser avaient, avant la guerre, donné à l’ancêtre des Kenta. Le Saint marabout était d’autant plus attaché au respect de ces engagements qu’il était soucieux de protéger l’intégrité des Zawaya de l’Etat Abdoukel auxquels il était fortement attaché par une alliance matrimoniale et chez lesquels il a fait une grande partie de ses études. Après la terrible débâcle des Abdoukel, les tribus guerrières appartenant à cet ensemble lemtounien s’étaient, rapidement, dispersées. Elles avaient, d’ailleurs, pour la plupart d’entre elles, pris le soin de dissimuler une appellation devenue encombrante et porteuse d’ennuis. Un petit groupement tribal qui avait conservé le nom des Abdoukel fut, néanmoins, signalé à Oualata d’où il partit en l’an 1222 de l’hégire (1807 de l’ère chrétienne) vers Nema ( à l’Est de l’actuelle Mauritanie). C’est dans cette ville que se trouve une petite collectivité qui porte, toujours, le nom des Abdoukel et c’est là , que nous avons pu, récemment, rencontrer ceux qui peuvent être considérés comme les derniers des Abdoukel. Avec les Idekoudy, ces rescapés d’un autre age forment ce qui reste d’une antique et puissante confédération lemtounienne qui avait, pendant longtemps, connu, une gloire aussi prestigieuse qu’aveuglante avant de s’enfoncer dans une indifférente modestie. Quelques fractions et autres familles des anciens Abdoukel qui ne portent plus ce nom sont, à en croire des traditions orales transmises de génération en génération, disséminées dans des diverses tribus maures . C’est, notamment de Ahl Tiki chez les Oulad Mhoumoud du Hodh et de Ahl Kenta chez les Ideichilly. Pour conclure sur le chapitre de la guerre qui avait opposé, essentiellement, les Oulad Nasser et les Abdoukel, Il faudrait garder à l’esprit que contrairement, à une opinion répandue qui a tendance à exagérer les conséquences de la guerre de Char Bebba, la guerre contre les Abdoukel fut le véritable tournant qui devait, considérablement , modifier le cours de l’Histoire dans ce pays. En effet, comme nous l’avons déjà souligné dans l’introduction de la présente histoire des Maures ( Tarikh Al Bidhane), la guerre de Char Bebba déclenchée par Nacer dine (d’origine lemtouna) qui se déroula dans le sud ouest mauritanien à la fin du XVIIeme siècle de l’ère chrétienne fut un événement d’une courte durée , d’ailleurs, limité à une zone bien précise. En revanche , c’est bien suite à la première guerre qui avait été livrée aux puissants Abdoukel, que le plus important choc entre les Sanhadja du désert, héritiers du pouvoir des hommes voilés, celui des almoravides et les Arabes Maaqil fut enregistré. Ce choc qui s’est traduit, entre autres, par l’institution d’un système de redevances (magharim) au profit des Hassan, l’interdiction de porter les armes prescrite aux Lemtouniens Abdoukel, la stratification fonctionnelle de la société maure : stricte séparation des fonctions religieuses et guerrières, l’arabisation linguistique et filiale etc. fut , en fait, le prélude à la constitution de l’actuelle société maure. Toutes ces conséquences de la guerre contre les Abdoukel que seront évoquées de manière plus détaillée, ultérieurement, sont en fait l’expression d’un contexte historique fondateur marqué par ce que nous pouvons appeler : «la naissance des Maures »
Hama hou Allah ould Salem Professeur d’histoire à l’université de Nouakchott Lauréat du Prix Chinguitti 2006.
|