Le secteur des petits métiers ne cesse de s’imposer dans notre pays. Les acteurs de ce milieu rivalisent d’ingéniosité pour innover. Le boom d’une activité nouvelle étant éphémère, il faut faire preuve d’esprit de créativité pour occuper le terrain. Exister est seulement à ce prix. C’est ainsi que les bouchers ambulants, par la force de leur organisation ont fini par se faire une place dans le tissu informel.
Le Mauritanien aime la viande. Aussi loin que l’on remonte le cours de l’histoire, l’on se rendra compte que c’est un peuple qui a toujours fait honneur à cette matière. Si dans les villages et campements, égorger un mouton ne pose pas de problèmes, car on trouvera toujours quelqu’un de dévoué pour le faire, ce n’est pas le cas à Nouakchott où l’opération nécessite une véritable prestation de service sanctionnée de rétribution en nature ou en espèces sonnantes et trébuchantes. La solidarité des populations rurales s’arrête aux portes de Nouakchott. Vu que les citoyens mauritaniens sont portés sur cette denrée alimentaire, il n’est pas étonnant que les «égorgeurs» pullulent dans Nouakchott. Il faut savoir qu’il existe bien sûr des professionnels du métier qui sont établis dans les principaux marchés de la capitale. Ils vendent de la viande provenant d’abattoirs agrées de l’Etat. A côté de ceux-ci, il existe une autre forme de bouchers qui squattent aux abords immédiats des marchés ou carrément entrent dans les concessions une bassine sous le bras et vous proposant des quartiers de viande. Ces derniers n’ayant eu aucun contact avec un quelconque vétérinaire ou agent du service d’hygiène publique parviennent à tempérer les craintes des clients grâce à la queue de mouton ou de chèvre qu’ils prennent soin de laisser en évidence. Mais comme les habitudes s’installent vite dans notre société, il ne faut point être sorcier pour tirer profit de cette manne, pour peu que l’on ait de l’inspiration. Aussi, certaines personnes spécialisées dans l’art d’égorger et surtout de dépecer les bêtes ont compris tout le profit qu’elles pouvaient tirer de cette situation. Ces hommes se sont installés à proximité des foirails et des abattoirs officiels. Lorsqu’une personne se présente pour faire l’acquisition d’une bête, ils proposent leurs services. Si au début cela se faisait dans l’anarchie et les rixes, ces gens ont fini par s’organiser et ont donné naissance à une nouvelle corporation : celle des bouchers ambulants.
Des signes nouveaux Ils sont reconnaissables depuis quelques temps à un uniforme en tissu épais constitué d’une chemise et d’un pantalon qu’ils arborent presque tous. Même si la couleur est variable, la coupe est la même et le tissu est commun à tous. Ils portent tous un coutelas à la ceinture ou dans la poche du pantalon. Le passant qui longe le carrefour de Madrid allant vers Arafat, les trouvera à l’angle du carrefour. A leur approche, l’on peut être intrigué devant leurs mines patibulaires et surtout à tous ces longs couteaux, mais en les approchant, l’on se rendra compte que c’est un milieu fait certes de rudesse mais aussi de vraies histoires humaines. Ici, on n’a pas trop le temps ou même l’envie d’avoir des états d’âmes. Il faut apprendre à être vigilant pour repérer rapidement le client et jouer des coudes pour être le premier interlocuteur .C’est à ce prix là seulement que l’on assure sa survie assure Ali Ould Birane, un jeune ressortissant de Barkéol : «Notre métier est dur car il n’y a aucune garantie. En arrivant le matin, notre objectif est de gagner suffisamment d’argent pour manger d’abord et le reste suit. Dieu merci, nous nous en sortons.» Malek, un adolescent qui était jusque là silencieux, lui coupe la parole : «Tu ne peux pas dire ça ! C’est faux, moi, je ne peux pas dire que je m’en sors alors qu’à ce moment où nous parlons, je n’ai rien mangé de la journée, tu pourrais m’acheter une miche de pain toi?» Silence. Il était quatre heures de l’après-midi. Ali de poursuivre : « Il ne s’agit pas de savoir si on a mangé ou non. Ce qu’il y a c’est que nous avons un métier et nous devons remercier Dieu, c’est mieux que voler.» A regarder la mine des uns et des autres, l’on devine que les avis sont clairement divergents. Ali explique : « Au début, nous étions à l’abattoir de Marbatt, il y avait trop de concurrents c’est pour cela que nous sommes venus nous installer ici. Cela n’a pas toujours été facile car la police nous chassait systématiquement. Cela fait juste un an que nous sommes fixes ici. Il n’empêche que la mairie nous oblige à payer 5000 Um à chaque fin de mois. De plus, certains policiers viennent aussi parfois nous rançonner.» L’homme se tait à nouveau. A la question de savoir combien coûte le prix d’une opération de dépeçage, quelqu’un lance : «500 Um pour chaque animal, en plus du cou de la bête, mais, actuellement, les gens ne veulent plus donner de la viande, ils vous donnent seulement de l’argent. C’est pour cela que nous en mangeons rarement». Au même moment, une voiture vient de stopper à quelques mètres et la bande s’égailla tels des oiseaux en quête d’une pitance. Biri Ndiaye
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