Démocratisation en Mauritanie : Les pratiques à bannir dans notre nouvelle République (Partie II), par : Abbas ALAOUI   
31/03/2007

Au lendemain de la proclamation par le Conseil constitutionnel des résultats officiels du scrutin présidentiel et à quelques jours de l’entrée en fonction du Président de la République nouvellement élu, les regards sont rivés sur le choix du futur premier ministre et de son équipe gouvernementale. Cela nous donne l’occasion de continuer notre œuvre bénévole ayant pour seul but d’éclairer –un tant soit peu- notre opinion publique sur les enjeux du mandat qui s’annonce plus que décisif pour l’avenir de notre pays



Notre première livraison a tenté de fixer le décor et nous allons tenter cette fois-ci de nous appesantir sur un domaine qui nous semble déterminer le succès de l’entreprise –ô combien périlleuse- de renaissance de la Mauritanie. Il s’agit bel et bien d’une renaissance, tant notre pays –et surtout son appareil d’Etat- se trouve dans un état de décomposition avancée, fruit de plusieurs années de laxisme et de laisser aller.

Le domaine dont il s’agit ici- le lecteur l’a déjà certainement deviné- est l’assainissement de notre Administration publique en vue d’en faire un véritable levier pour le changement vivement souhaité par nos populations, à tous les niveaux. Celle-ci est en effet le principal –sinon l’unique- outil dont le Gouvernement dispose pour mener à bien les divers chantiers prioritaires déjà identifiés. En effet, sans une Administration publique assainie et performante, point d’efficacité pour l’action publique.

Les maux dont souffre notre Administration sont assez bien connus; plusieurs rapports en ont déjà fait le diagnostic et proposé les remèdes. Seules la volonté et l’endurance requises sont demeurées absentes, y compris durant la période récente. Il est vrai que le défi est de taille et que la texture sociologique du pays est loin d’y aider. Au contraire !

Voici en effet un appareil qui a été depuis très longtemps malmené par tout le monde : les gouvernants et les gouvernés. Pour dire les choses de manière crue : disons que le mal majeur de notre Administration est qu’elle a été toujours –ou presque- confiée à des Responsables qui la méprise totalement car n’ayant en général aucun respect pour l’Etat et pour la chose publique. Le bannissement de la méritocratie et son corollaire -l’érection de la médiocratie en système- ont été les principaux facteurs de déliquescence de cet appareil (1). Plus personne ne se soucie d’aucune déontologie ; celui qui ose évoquer ce terme est classé parmi les hérétiques. Rappelons au passage que ce terme signifie ’’science du devoir’’ !!

Mais c’est quoi l’Administration publique ?

On est vraiment allé loin dans ce pays ! Tellement loin qu’il nous semble utile de rappeler à tout le monde c’est quoi l’Administration publique et pourquoi un pays doit-il en créer. Etre social, l’homme ne peut se suffire à lui-même ; le libre jeu des initiatives privées lui permet ; certes, de pourvoir à certains besoins, grâce à la division du travail et aux échanges ; mais il en est d’autres- et surtout les plus essentiels- qui ne peuvent recevoir satisfaction par le jeu des initiatives privées soit que, communs à tous les membres de la collectivité, ils excèdent par leur ampleur et leur complexité les possibilité de n’importe quel particulier (c’est l’exemple de la défense nationale) ; soit que leur satisfaction soit par nature non lucrative de telle sorte que personne ne se proposera à les assurer. Ces besoins auxquels l’initiative privée ne peut répondre, et qui sont vitaux pour le pays, constituent le domaine propre de l’Administration publique. Le moteur de l’action administrative est donc essentiellement désintéressé ; c’est la poursuite de l’intérêt général. Et cela veut dire beaucoup de choses qu’on a totalement oubliées chez nous (2).

Et que faire donc ?

Dans la précédente livraison, on avait mentionné que le futur Gouvernement -et donc les Ministres- devront inaugurer une nouvelle façon d’agir au service du pays. A cette fin, les Ministres devront assumer pleinement leurs responsabilités en agissant dans le cadre fixé par la Loi et en poursuivant les objectifs assignés aux politiques arrêtées pour leur secteur. Les Ministres devraient surtout respecter les Administrations mises à leur disposition. Ce respect passe avant tout par la mise en place de procédures transparentes et efficaces, qui reconnaissent aux Directeurs de Services la plénitude de leurs attributions et compétences, loin des pratiques vécues par le passé et qui tendaient à transformer notre Administration en un ’’Secteur informel’’ marqué par l’absence de règles et l’omniprésence des ’’interventions’’. L’insistance sur le rôle des Ministres est justifiée par le fait que notre contexte administratif requiert des réformes urgentes et profondes en vue de récréer une Administration digne de ce nom (3).

Loin de nous la prétention de vouloir proposer une série de mesures pour assainir et moderniser notre Administration publique. Cela exigera un effort de réflexion et d’élaboration que seul un groupe de personnalités qualifiées et patriotes pourra réaliser. Note contribution se limitera à attirer l’attention sur certains points jugés essentiels. L’assainissement de notre Administration ne pourra se faire qu’au travers d’une action réfléchie, soutenue et ferme. La fermeté devra être le maître mot (4). Cela passera par faire table rase du passé en érigent la ’’règle de contestabilité’’ en système : toutes les fonctions doivent être passées en revue et les personnes qui les occupent doivent accepter résolument que si l’adéquation profil/emploi n’est pas vérifiable, la conséquence immédiate en sera l’éviction. L’octroi des postes –du moins pour le grade de directeur- devra se faire après appel à candidatures, ouvert à tous ceux qui servent dans le Département ministériel (et ceux y apparentés) (5). Une fois cette étape franchie, un grand chantier de normalisation devra être lancé : élaborer des manuels de procédures (6) pour toutes les Administrations fondés sur la responsabilisation effective de tous les cadres et agents de l’Etat de manière à mieux les motiver et à valoriser leur travail (7).

Tout cela n’aura évidemment de sens et de portée que si la fonction ’’contrôle et inspection’’ se trouve renforcée et valorisée afin de faire cesser définitivement le climat d’impunité qui prévalait dans le pays et qui faisait que tout gestionnaire pouvait se comporter comme bon lui semble en sachant pertinemment qu’il n’a de compte à rendre à personne.

Concluons en disant que ce qu’il nous faut en ce domaine est une Administration où chaque responsable –à quelque niveau que ce soit- agit avec déontologie dans la recherche de l’intérêt général ; fût-il contraire à celui de sa famille ou de son segment sociologique (8).

Prions Allah pour que ’’le ridicule commence à tuer chez nous’’ !

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(1) pour illustrer cela les exemples ne manquent pas : le Ministre qui officie sans avoir jamais jeté un coup d’œil sur les textes régissant son Département et son secteur ; le Directeur qui se comporte comme si son Service était son domaine privé. Transgresser la loi et les usages administratifs –en pleine conscience- est devenu un acte de bravoure ! Comment en est-on arrivé à ce stade ? la réponse est simple : lorsqu’on a décidé quelque part que n’importe qui peut assumer n’importe quelle charge ; ou pour dire les choses autrement, cela est arrivé lorsqu’on a commis le crime ’’de meurtre de l’intelligence’’
(2) le Responsable public se croit chez nous investi de la mission ’’d’émanciper les siens’’ ; bien évidemment au détriment de ceux qui n’appartiennent pas à son segment sociologique.
(3) dans les pays où l’Administration est moderne et performante, les ministres peuvent se contenter de remplir leur fonction politique ; mais on en est loin dans notre pays où l’Administration a été totalement délabrée par des décennies de laxisme et de laisser-aller. L’idée que nous défendons ici est qu’à moyen terme nous avons encore besoin de ministres qui soient des professionnels de l’Administration publique en vue d’impulser les réformes indispensables. Et surtout ne pas contrarier par leurs agissements ’’inadministratifs’’ leur mise en Å“uvre !
(4) on ne peut pas faire une grande omelette sans casser beaucoup d’œufs !
(5) cette formule a été expérimentée avec succès par certaines grosses organisations. Son corollaire est de pouvoir imaginer et mettre en Å“uvre des programmes spécifiques de re-insertion pour tous ceux qui en seront les victimes. Et il y en aura !
(6) dont la finalité ultime est le fait de fixer définitivement dans l’esprit des serviteurs de l’Etat qu’ils sont là –non pour faire ce qu’ils veulent- pour faire ce qu’ils doivent faire.
(7) le réexamen du système de rémunération devra aussi intervenir afin d’offrir aux agents de l’Etat un pouvoir d’achat réel et suffisant pour moraliser la gestion des affaires publiques. N’oublions pas qu’il doit y avoir ’’un salaire d’intégrité’’ pour barrer la route au phénomène de corruption, si préjudiciable pour l’économie du pays.
(8) parmi les comportements à bannir, tout cadre devra désormais s’abstenir des interventions auprès de ses collègues en vue d’orienter telle ou telle décision ; et surtout en matière d’embauche où les injustices sont les plus dangereuses à long terme.

 


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