Racisme, Esclavage et Tentation Talibane en Mauritanie   
12/05/2012

De quoi s’agit-il ?

Le 28 avril 2012, Birame Dah Abedi, Président de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (Ira), une association non reconnue, participait, en compagnie de quelques militants, à une prière collective du Vendredi, usage devenu fréquent...



...au titre de la dĂ©fiance envers les lieux de culte officiels oĂą le sujet l’esclavage reste taboue. Au terme des deux prosternations rituelles, Birame procède, devant des sympathisants et quelques journalistes avertis, Ă  l’incinĂ©ration, de quelques livres de droit musulman oĂą l’exploitation de l’homme alimente des considĂ©rations dĂ©taillĂ©es sur les droits du serviteur et les devoirs du maĂ®tre. Avant de les brĂ»ler, sur une place publique de l’arrondissement de Riadh, quartier populaire Ă  la pĂ©riphĂ©rie de Nouakchott la capitale, le leader de l’Ira prend soin, pour ne pas heurter la sensibilitĂ© des fidèles, d’arracher toutes les pages comportant des passages du Coran ou des mentions des noms d’Allah et de son Prophète, Mohamed (Psl).

Les acteurs

 

Les services de sécurité, quoiqu’avertis par des éléments infiltrés dans l’Ira, ne réagissent pas jusqu’au lendemain, laissant, à la presse le temps de préparer l’opinion à l’énormité de l’acte.
24 heures après, le PrĂ©sident de l’Ira est arrĂŞtĂ© Ă  son domicile, sans mandat par les unitĂ©s de police, venues en surnombre et qui ont jetĂ© des grenades lacrymogènes dans sa maison oĂą Ă©taient prĂ©sents des dizaines de militants et de parents dont certains se dĂ©fendent au corps-Ă -corps. Dans son rĂ©pertoire tĂ©lĂ©phonique, la police rĂ©cupère la liste des correspondants et identifie les derniers appels et procède Ă  des interpellations :
1-Biram Dah ABEID : PrĂ©sident de IRA
2-Issa Ould Ali: Coordinateur Ă  Nouakchott
3-Yacoub Diarra: Chef du comitĂ© de paix pour la sĂ©curitĂ© de Biram Dah Abeid
4-Abidine Ould Maatala: Membre du bureau exécutif, Secrétaire Général du comité de paix
5-Ahmed Hamdy Ould Hamarvall: Membre du bureau exécutif, trésorier de IRA
6-Elid Ould Mbarek : Sympathisant de IRA
7-Bilal Ould Samba : PrĂ©sident du parti reconnu, l’Union des Forces Sociales de Mauritanie (UFSM)., sympathisant de IRA
8-Leid Ould Lemlih: Imam de IRA, handicapé moteur
9- Abdallahi Abou Diop : Photographe, rĂ©alisateur, sympathisant de IRA, libĂ©rĂ© depuis.
10 – Oubeid Ould Imigiene : Journaliste, administrateur du portail d’information www.initi.net, Porte-parole de IRA
11-Boumédiane Ould Batta: Sympathisant de IRA – Mauritanie
12- Zeidane Ould Mouloud: ReprĂ©sentant de IRA Ă  Mederdra, prĂ©venu de ne pas quitter le dĂ©partement ; la veille, de Dakar, il appelait Birame, par tĂ©lĂ©phone.
13- Cheibani Ould Bilal: Parent de Ould Samba (no 7), membre de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH), libéré après un jour de détention.
Jusqu’aujourd’hui, aucun ne reçoit de visite, de la famille ou des avocats. Suite à une audience par le Procureur de la République, les prisonniers sont remis, le 2 mai, à la Direction de la Sureté de l’Etat (DSE), la police politique, où siègent, impunément, des dizaines de tortionnaires, depuis le milieu des années 1980.
Le 2 mai 2012, finalement, Birame et ses amis, dans l’attente de leur inculpation, se voient signifier, des chefs d’accusations d’atteinte Ă  la sĂ©curitĂ© de l’état, une accusation dĂ©pourvue, ici, de pertinence. Avant de parvenir Ă  une qualification plus spĂ©cifique, le magistrat instructeur et le Ministère public, manifestement embarrassĂ©s par le vide juridique, hĂ©sitent et attendent les instructions du PrĂ©sident de la RĂ©publique, Mohamed Ould Abdel Aziz, devenu le recours et le destinataire des dolĂ©ances outrĂ©es de la Umma; en effet, il prĂ©side un Conseil du gouvernement, le lendemain; le communiquĂ© promet la sĂ©vĂ©ritĂ© de la sanction aux auteurs de « l’acte ignoble Â» ; la sujĂ©tion de la justice Ă  l’ExĂ©cutif semble consommĂ©e, en l’occurrence.

La diversion

 

Le soir mĂŞme et dès le lendemain, dĂ©ferlent, dans les rues de plusieurs villes et villages du pays, des foules hystĂ©riques qui hurlent au blasphème et rĂ©clament le meurtre de Birame et de ses compagnons. La tĂ©lĂ©vision publique d’Etat (TVM), diffuse et rediffuse, en "boucle" les images des ouvrages brĂ»lĂ©s, suivis de reportages exaltĂ©s sur l’"ampleur de la colère des masses". Des appels Ă  la haine et au meurtre fleurissent sur l’écran, repris, dans une surenchère d’indignation, par des chaines satellitaires arabes, un contexte qui rĂ©veille le souvenir des Ă©meutes racistes de 1989. En quelques heures, crĂ©ditant alors l’hypothèse d’un piège tendu Ă  Birame, le gouvernement retourne l’opinion, alors que l’Opposition s’apprĂŞtait Ă  organiser, le 4 mai, une marche d’envergure pour rĂ©clamer la dĂ©mission de Mohamed Ould Abdel Aziz.
En 48 heures, les autoritĂ©s opèrent une privatisation, en règle, de l’Islam, rĂ©duisant le Message rĂ©volutionnaire du Prophète Mohamed (Psl) Ă  un repli sur soi, d’essence liberticide et particulariste, Ă  l’antithèse du magnifique sermon d’adieu, dit El Widaa".
Quant il reçoit les dĂ©lĂ©gations des marcheurs venus le conjurer "…d’infliger un châtiment exemplaire aux militants de l’Ira…", le PrĂ©sident de la RĂ©publique dĂ©ment l’existence de l’esclavage en Mauritanie, s’improvise garant de la religion, exclut toute Ă©volution vers la laĂŻcitĂ© et - engagement inĂ©dit de sa part - promet l’application de la Chariaa, dans le pays. Du jour au lendemain, comme prĂ©mĂ©ditĂ©s, Ă©closent des sections d’une initiative dĂ©nommĂ©e « Tous avec Aziz Â», sous l’égide de l’Union pour RĂ©publique (Upr), le parti au pouvoir. Pire, les autoritĂ©s envoient des cars, devant les mosquĂ©es, pour transporter les manifestants ; de chaque imam, il est exigĂ© de faire l’annonce aux ouailles, avant la dispersion : « des vĂ©hicules vous attendent, dehors, si vous accepter de vous joindre Ă  la marche vers la PrĂ©sidence de la rĂ©publique, contre l’acte ignoble Â», etc.
Face Ă  ses adversaires islamistes très actifs ces dernières semaines, le PrĂ©sident de la RĂ©publique s’installe dans la posture de l’Ayatollah dĂ©fenseur de l’Islam contre l’impiĂ©tĂ© libertaire de Birame et de ses camardes. D’ailleurs, depuis la diffusion, par CNN, d’un documentaire en date du 18 mars 2012 sur la persistance de l’esclavage en Mauritanie, la thèse officieuse s’évertue, activement, Ă  insinuer que Birame et ses amis servent, dĂ©sormais, "le complot judĂ©o-chrĂ©tien". Les maĂ®tres, honteux et discrets depuis la chute de la dictature de Ould Taya, se dĂ©complexent soudain, cessent de s’exprimer en sourdine et s’exposent sur la place publique ; ils tiennent, enfin, leur revanche.
Suivant le rĂ©flexe Ă  l’œuvre dès le moindre conflit dans le monde musulman, certains Ă©voquent le financement de l’Ira par IsraĂ«l. En dĂ©pit d’une Fatwa courageuse qui le lave de l’accusation de pĂ©chĂ© mortel, Birame devient "l’apostat", "l’infidèle"," le pourfendeur de la Foi, Ă  Ă©radiquer, physiquement". Tous les Ultras et applaudisseurs de tous bords abondent dans le sens de la coercition.
RĂ©unis, dimanche 29 avril, autour du Ministre des affaires Ă©trangères et de la coopĂ©ration, les ambassadeurs des pays Arabes s’empressent de condamner « ce crime Â» et dĂ©clarent leur solidaritĂ© (sic) avec la Mauritanie, selon les termes de leur Doyen, le marocain Abderrahmane Ben Omar; les autres diplomates prennent acte de la campagne d’interpellations ; ceux des dĂ©mocraties occidentales, disent « prendre acte Â» et se gardent bien de rappeler les principes Ă©lĂ©mentaires du droit Ă  la libertĂ© de l’expression

Le fond du problème

 

Le thème de l’esclavage, rĂ©current dans des ouvrages de jurisconsultes - souvent vieux de quelques siècles - appartient Ă  un passĂ© aujourd’hui rĂ©volu au sein de la communautĂ© islamique, Ă  l’exception de la Mauritanie et d’autres groupes de peuplement au Sahara-Sahel ; ici, le phĂ©nomène n’a Ă©tĂ© aboli qu’en 1981 ; il aura fallu plus de deux dĂ©cennies de lutte avant qu’une loi ne le pĂ©nalise, explicitement, en 2007 ; malgrĂ© l’avancĂ©e critique sur le chemin de l’émancipation, le texte demeure inappliquĂ© et les plus hautes autoritĂ©s de l’Etat, Ă  commencer par le PrĂ©sident de la RĂ©publique Mohamed Ould Abdel Aziz, ont adoptĂ©, sur les survivances de cette domination ethno-sociale, le discours du dĂ©ni et la pratique de l’impunitĂ©. Le geste tĂ©mĂ©raire de Birame Dah Abeid intervient, ainsi, dans le contexte de banalisation du crime d’esclavage, malgrĂ© la multiplication des cas de plainte en justice, presque toutes classĂ©es sans suite ou sabotĂ©es en cours d’instruction. Aujourd’hui c’est Biram pour l’esclavage, demain ce sera une Fatimata ou une M’barka si l’une se risque Ă  dĂ©noncer l’infantilisation de la femme et la dynamique de sa soumission perpĂ©tuelle, suivant les prescriptions de tel rite, de telle Ă©cole obĂ©dience thĂ©ologique.

La menace souterraine

 

Aujourd’hui, l’affaire Birame Dah Abeid, au-delĂ  du scandale, rĂ©vèle un processus de talibanisation rampante de la sociĂ©tĂ© mauritanienne, lui-mĂŞme vecteur d’une fracture plus profonde : confrontĂ©e Ă  la montĂ©e des contestations de son hĂ©gĂ©monie, par les autres groupes socio-ethniques, la communautĂ© maure subit, plus que le reste du peuplement, la pression ascendante d’un fondamentalisme de la rigueur morale, puritain sur les mĹ“urs, misogyne, porteur d’une lecture littĂ©rale du Coran, arabiste de valeurs et d’horizon, sourd Ă  la diversitĂ© culturelle du pays et exclusivement tournĂ© vers le passĂ© glorieux de la Umma. Au lieu de rĂ©sister en lui objectant l’authenticitĂ© des cultures nationales et le modèle de religiositĂ© Soufie - bien plus empreint de tolĂ©rance et de spiritualitĂ© - les segments les plus conscients des Ă©lites Bidhane versent dans le credo salafiste ; pire, la remise en question du projet de fondation de la citĂ© de Dieu en Mauritanie, se traite, dĂ©sormais, par les moyens de l’ostracisme, voire du chantage Ă  la peine de mort. Bien Ă©videmment, d’oĂą son danger pour l’unitĂ© du pays, la dĂ©rive locale vers le Wahhabisme ignore les revendications de libertĂ© et d’égalitĂ© des descendants d’esclaves et renvoie, davantage, l’inatteignable aspirations des nĂ©gro-africains Ă  une citoyennetĂ© pleine, après les tueries, la dĂ©portation et la spoliation de terres. Le salafisme mauritanien achève la mutation paroxystique du nationalisme maure. Une nĂ©buleuse de rĂ©seaux caritatifs, irriguĂ©e du lointain orient, prĂ©pare le lit de la prochaine tyrannie, parmi les populations dĂ©shĂ©ritĂ©es.
IV. Notre position
A. L’acte, maladroit et provocateur de Birame Dah Abeid procède, sur le fond, d’une ardente soif d’équité et de réparation; en cela, sa libération et celle de ses amis de captivité s’impose, d’urgence, à moins de leur garantir, dans les meilleurs délais, un procès selon les standards internationaux.
B. Sous peine de nĂ©gliger l’insulte Ă  la mĂ©moire et au prĂ©sent d’une majoritĂ© de mauritaniens, l’ensemble des publications religieuses qui comportent la rĂ©fĂ©rence Ă  l’esclavage requièrent, de la part des pouvoirs publics et des autoritĂ©s religieuses, un vĂ©ritable effort de recherche, attentif afin de distinguer l’obsolète du constant ; il convient d’entamer, vite, une campagne permanente d’exĂ©gèse, y compris dans les Ă©coles ou Mahadhra oĂą se dispense l’enseignement civique et moral. Aussi, en bibliothèque et librairie, une notice explicative, voire des ouvrages critiques qui exposent la gĂ©nĂ©alogie du propos, constitueraient, pour les gĂ©nĂ©rations de jeunes mauritaniens, un antidote Ă  la discorde raciale.
C. Il est sujet constant de honte et brevet de faillite morale que tant de foules se mobilisent, spontanément, contre la mise à feu de livres de droit et fussent restées muettes, absentes, indifférentes aux nombreux cas d’esclavage et de racisme en Mauritanie, comme si la religion, dans leur entendement, devait protéger le fort et circonscrire l’opprimé.
D. Compte tenu de la globalitĂ© du risque, les organisations signataires de la prĂ©sente notice appellent, les combattants de la dĂ©mocratie et de la dignitĂ© de la personne, Ă  l’intĂ©rieur du pays et ailleurs, Ă  une vigilance quotidienne devant la tentative d’instauration d’un Etat thĂ©ocratique en Mauritanie et dans la zone saharo-sahĂ©lienne. Le pĂ©ril est imminent et Ă  proximitĂ© immĂ©diate.
Nouakchott, le 11 mai 2012
Signataires

Association des Femmes Chefs de Familles (AFCF)

Association Mauritanienne des Droits de l’Homme (AMDH

Association Mauritanienne de Solidarité et de Soutien des Détenus (AMSSD)

Association des MaghrĂ©bins de France (AMF)

Conscience et RĂ©sistance (CR)

Comité de Solidarité avec les Victimes des Violations des Droits de l’Homme (CSVVDH)

Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste (IRA)

La Ligue Mauritaniennes des Droits de l’Homme (LMDH)

La Ligue Algérienne de Défense des Droits de l’Homme (LADDH)

La Ligue Marocaine de Défense des Droits de l’Homme (LMDDH)

Observatoire Mauritanien des Droits de l’Homme (OMDH)

SOS Esclaves

 


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