L’évolution politique du territoire des Hommes voilés ou «Al moutalathemoun » a été le produit d’une accumulation de plusieurs expériences qui ont contribué à la formation des confédérations tribales dont la plus connue reste, sans doute, celle qui a été constituée par les tribus «Nbita» -Al Anbat- les quelles fondèrent un royaume dénommé «Awkar» avec Aoudaghosth comme capitale au Sud-est de l’actuelle Mauritanie.
Les nombreuses tribus des «enturbannés», qui se sont rassemblées sous forme de diverses confédérations et dans des territoires bien délimités, ont donné, à cette haute époque, naissance au peuple Sanhadja.
Les hommes voilés ou le peuple Sanhadja : origines et organisation
Il est communément admis que les Sanhadja ont été appelés «les hommes voilés» à fin de les distinguer de leurs cousins aux têtes nues et qui, à la même époque, résidaient à l’extrême Nord du Grand Sahara. On ne sait pas grand-chose sur la première adoption du voile, ni d’ailleurs, sur sa véritable signification mais on sait qu’il a été unanimement, considéré comme le symbole du peuple Sanhadja et des territoires sahariens de celui-ci. A ce sujet Al Bakri ( Cordoue – 1057) rapporte que «tous les membres des tribus du Sahara portent un voile pour se couvrir entièrement au niveau de la tête et du visage à tel point que seules les orbites des yeux restent apparentes. Ils gardent en permanence ce voile et ne l’enlèvent sous aucun prétexte. Il leur serait, d’ailleurs, impossible d’identifier celui , parmi eux, qui se dévoile même parmi ses plus proches . De même, au cours des combats si l’un des leurs tués se dévoile, il ne pourrait être identifié qu’après que son voile soit remis à sa place. Ce voile est devenu partie intégrante de leur corps ( Alzamou lahoum min jouloudihoum ) . Pour ces gens, tous ceux qui ne portent pas ce voile sont désignés par une expression qui signifie, dans leur langue, «bouches de mouches». Plus précise a été la description faite par Ibnou Khaldoun ( mort en 1406) lequel , malgré le fait qu’il aie vécu à une époque assez postérieure au temps des hommes voilés et celle de leur Etat, a écrit , à leur sujet, ce qui suit : «cette classe des Sanhadja des Moutelethimoun ( les Hommes voilés) qui résident derrière les sables sahariens du Sud, Ils ont été, depuis des temps inconnus, bien avant la conquête (islamique), éloignés dans ces domaines. Ainsi, ils ont adopté la vie au désert, en remplacement de celle des campagnes, et ils ont trouvé une entière satisfaction dans ce nouvel environnement. De même, ils ont abandonné les plaines fertiles et se sont contentés du lait de leur bétail ainsi que de la viande de celui-ci. Poussés par une allergie à l’essor citadin et par un désir de solitude, ils ont opté pour un mode de vie sauvage qui leur permet de conserver leur fierté et les met à l’abri du sentiment de défaite et d’humiliation. Ils ont investi les environs du rif et occupé le territoire qui se situe entre le pays des berbères et celui des noirs en constituant un rempart. Ils ont adopté le voile qui est devenu pour eux un symbole et un signe distinctif par rapport aux autres nations ». Il convient de souligner que la désignation Sanhadja équivaut à une arabisation du terme Amazigh «Iznaguen» lesquels forment avec les Masmouda ( Masmouden) ainsi que les Zenâta ( Iznaten), les principales confédérations tribales des Amazigh du Grand Maghreb. Il résulte des recherches effectuées par Soudghi Ali Aziacou, que l’origine des noms attribuées à ces principales confédérations ne découle pas de leur filiation mais plutôt de leur mode de vie. Dans ce sens, il estime que le concept berbère «Iznaguen» ( Sanhadja ) est composé de «IZN» qui signifie tentes en cuir et «IGN» qui veut dire razzieurs ( ou qui désignent ceux qui lancent des assauts). La composition du concept se fait suivant la formule IZN+IGN qui a subi l’amplification caractéristique des dialectes des Sanhadja, lesquels, prononcent, en particulier, la lettre Z de manière assez accentuée. Le mot «Iznaguen» peut donc signifier «les tentes des gens qui font des assauts». Ce genre d’activités est, en tout cas, bien fréquent chez les nomades du Sahara. Dans un autre sens, le terme «IZN» voudrait dire envoyer et «IGN» serait employé pour désigner «une troupe informelle d’hommes qui se rassemblent de manière improvisée à fin de déclencher une opération de guerre dans un but de pillage». Il semble que le mode de vie était particulièrement difficile pour les pasteurs Sanhadja du Sahara ce qui a eu pour effet de susciter leur intérêt pour le commerce, pour l’organisation des caravanes ainsi que pour la maîtrise des utilités qui avaient une importance pour leurs voisins noirs. Parmi les tribus Sanhadja du VII eme siècle , les plus connues, il conviendrait de citer les Lemtouna, les Messouffa et les Gdala . Les Lemtouna ( Yalemdhen) se regroupaient au centre, tout en se rapprochant de la zone Sud qui se situe aux limites du Soudan. C’était avant que les Lemtouna se déplacent , à l’époque des conquêtes almoravides , vers la montagne Adrar qui a été, par la suite, appelé Jabal Lamtouna ( montagne des Lamtouna). Les Lamtouna sont connus au Nord, notamment dans la région du Sousse ( Maroc) sous l’appellation Lamta ( lemtan, Iyoulemdhen). Les Messouffa ( Imassoufen) se sont, quant à eux, dispersés tout au long du Sahara,, au niveau des passages situés dans l’axe Sijilmassa-Ghana. L’unique cité qu’ils avaient fondaient à Wad Draa s’appelait tyoumetin et se situait à cinq jours de marche de Sijilmassa. Les Gdala ( Igdalen), se sont dirigés vers le Nord en occupant le littoral atlantique et ont, en particulier, assuré une mainmise sur la saline d’ Aoulil qui ravitaillait le Soudan depuis une haute époque. Il parait que le nom des Gdala dérive de l’expression Agdhel , en usage dans le langage des Sanhadja, et qui signifie protecteur ou gardien ce qui donne une indication sur le fait qu’ils assuraient la protection des caravanes . L’appellation pourrait, également, être dérivée du terme Agdal qui signifie la fortification ce qui donnerait à Gdala le sens de «la fortifiée», «la gardée» ou «l’interdite». Il se peut, aussi, que les Gdala dont le nom se prononce, parfois par le terme jdala soient une branche des Gétules qui font partie des anciens peuples Amazigh qui résidaient dans l’Afrique du Nord. Ce qui, d’ailleurs, pourrait expliquer leur différence avec les autres tribus Sanhadja notamment les Lemtouna et les Messouffa avec lesquels, ils étaient engagés dans un conflit. Ce conflit n’a, cependant, jamais empêché ses protagonistes à renouer des multiples alliances qui ont, dans certains cas, favorisé la création d’entités étatiques. Ces alliances mécaniques, enfouies dans le temps, devaient, d’ailleurs, trouver dans la conquête islamique une bonne occasion de s’accentuer.
La conquête islamique du Sahara 62 H ( 680 ap JC) -123 H ( 739 ap JC)
Les échos de la conquête islamique de l’Afrique du nord ont retenti dans le Sahara des Sanhadja dont les principales confédérations tribales ont, très tôt, subi l’influence directe de la dite conquête. Ibnou Khaldoun soutient, cependant, que l’islamisation des groupements Lemtouna et des autres tribus Sanhadja n’a été effective que bien après la pénétration arabe en Andalousie. Mais en dehors de cette opinion, il faut noter que Zahri avait signalé dans son traité de géographie (rédigé en 1150 ap JC) que les Almoravides et , en particulier, la jama’a ( l’assemblée) des Lamtouna se sont convertis à l’islam sous le règne du calife Hicham Ibnou Abdel Malik ( 724- 743 ap. JC). Cette islamisation s’est effectuée en même temps que celle des habitants de l’oasis Wargla. Les indications les plus anciennes qui se rapportent aux conquêtes islamiques et leurs conséquences au Sahara restent, néanmoins, celles qui découlent des récits relatifs aux campagnes de Oqba Ibnou Nafi’e dans l’extrême Sousse ( 682 ap.JC). En règle générale, les sources arabes retracent fidèlement l’itinéraire des différentes campagnes de Oqba .De même, ces sources évoquent l’ accès du grand conquérant à l’extrême nord du territoire des Sanhadja du voile ( sanhajatou al litham) sans pour autant, lui attribuer la légendaire traversée du Sahara vers le Sud.
(A suivre)
Hamahou Allah Ould Salem Professeur d’Histoire à l’Université de Nouakchott, Lauréat du prix Chinguitti 2006
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