Isselmou Ould Abdelkader du RDU : "Pour l’heure, l’UFP incarne le mieux, l’idée d’un parti progressiste."   
07/06/2006

Isselmou Ould Abdelkader, est un des cadres du Rassemblement pour la Démocratie et l’Union, et responsable à la formation politique, au sein de son parti, le RDU. Dans cette rencontre avec "Tahalil Hebdo ", il évoque l’impasse dans laquelle se trouve le débat d’idées en Mauritanie, et esquisse le voeu d’un paysage politique moins "émietté".



Tahalil Hebdo: comment présenteriez-vous votre programme actuel en vue de l’élection présidentielle de mars 2007?

Isselmou Ould Abdelkader: Notre programme a été fondamentalement refondu lors de notre dernier congrès du mois de juin 2005. Nous tiendrons bientôt un congrès extraordinaire pour intégrer dans nos instances dirigeantes, les nombreux cadres et personnalités qui nous ont rejoints et qui continuent d’adhérer à notre parti. C’est une preuve supplémentaire que notre parti est réellement démocratique. Quel est le Parti qui a eu le courage d’organiser un congrès avant les élections présidentielles  pour désigner le candidat à soutenir ? Pour ce qui est de notre programme électoral, il sera publié à temps et vous en jugerez le moment venu.

 

T.H: En Mauritanie le choix de tel ou tel candidat politique se fait exclusivement en fonction de l’appartenance tribale, ethnique, occultant de ce fait les programmes. Qu’en pensez-vous ?

IOA: D’abord je voudrais préciser que parmi les critiques classiques du système libéral, on a souvent noté la part de subjectivité liée au choix des candidats. Dans l’histoire, certains de ces choix ont été principalement motivés par le look des candidats. Allez interroger Sigmund Freud ou Herbert Marcuse pour savoir pourquoi. L’électeur mauritanien n’échappera pas de manière absolue à cette tendance mais on sous-estime souvent la capacité des mauritaniens à lire, à comprendre et à choisir le programme électoral qui leur semble le plus rassurant. Je mesure bien mes mots quand je parle d’assurance, car le réflexe ultime qui conditionne les résultats électoraux en Mauritanie- mise à part la fraude- est la méfiance à l’égard du programme et de la personne non susceptibles de garantir la stabilité du pays. Ce réflexe est dû non seulement à la précarité du contexte historique dans lequel l’État national est né, mais aussi au danger qui guette une jeune nation dont la genèse est à peine achevée. Dans la situation actuelle, les mauritaniens sont appelés plus qu’à tout autre moment, à observer une grande prudence en privilégiant les critères d’expérience, de tempérament personnel et de capacité de conjuguer les impératifs de cohésion nationale qui excluent toute forme de revanchisme économique, social, régional ou ethnique au mode réformateur de l’ensemble du système politique, économique et social.

Notre pays est à la recherche d’un homme ayant ces qualités et notre parti contribuera à cette recherche sans aucun préjugé. Il parait que certains candidats ont déjà formé leur gouvernement car ils estiment qu’ils sont les seuls à avoir une légitimité pour y prétendre. On assiste même à une compétition des légitimités  fondées sur le seul fait d’avoir été à telle ou telle position par rapport au système renversé. Certains se laissent prendre au piège et s’excluent de la compétition sans le savoir en faisant circuler la propagande selon laquelle on ne doit pas se présenter à la présidence quand on a un cousin qui a été président. Si cette règle est acceptée, elle pourra nous faciliter la tache en excluant d’emblée six candidats potentiels. En effet, ces six candidats potentiels sont les frères, ou les cousins de personnes qui ont présidé au destin du pays quand ils n’ont pas été eux-mêmes présidents. En d’autres termes, il faudrait attendre que les 713 entités traditionnelles recensées au Ministère de l’Intérieur aient eu chacune un président parmi leurs ressortissants respectifs, pour que l’un des cousins du premier président de la Mauritanie puisse avoir le droit de se présenter. C’est un simple aspect du degré de déchéance et d’indigence idéologique de certains milieux nouakchottois dans un contexte où la Mauritanie fait appel à tout son génie et à sa grandeur d’esprit pour pouvoir obvier aux dangers de la dislocation.

Là où les régimes successifs ont incontestablement échoué, c’est bien en ce qui concerne la préparation d’une classe politique digne de ce nom et c’est bien la raison pour laquelle il faut craindre que demain, le régime civil ne puisse survivre à d’indicibles mesquineries, tells que celles qu’on entend ces jours dans les salons de notre capitale politique et culturelle.

Il y en a même qui vont très vite en besogne en brandissant le poignard de la revanche tout en promettant le meilleur des mondes. D’autres se ridiculisent en blasphémant contre un système qu’ils ont incarné plus que quiconque. Je pense que ceux qui adoptent cette attitude ne pourront, quel que soit leur programme, conduire le pays autrement que sur le chemin de la guerre civile.

 

T.H: Tout de même, la plupart des hommes politiques ne se soumettent pas au débat d’idées, n’annoncent pas de programme engageant l’avenir de la nation, n’est-ce pas un frein au dialogue national?

IOA: Pour notre parti, le RDU, c’est plutôt l’émiettement qui constitue une manifestation de l’indigence en matière d’idée et qui rend difficile tout dialogue national. Nous avons mesuré cette difficulté lors de notre l’initiative d’organiser le forum du dialogue national en avril de l’année passé. Nous aurions voulu y inviter tous les partis, mais nous ne pouvions le faire vu leur nombre. Après ce forum et même au lendemain du changement du 3 août, nous avons fait appel à tous les partis pour organiser la concertation nationale de manière à accompagner le processus de redressement. Mais pour nous, la structure de cette concertation ne devait être ni un gouvernement parallèle ni un club d’invectives exprimant le tempérament de certaines personnes.

Aujourd’hui nous demeurons disponibles pour participer à toute forme de concertation pourvu que cette dernière n’achoppe pas sur une vision manichéiste outrancière et infantilisante. D’ailleurs, ce à quoi notre parti a toujours oeuvré, c’est qu’à l’avenir, il n’existe plus dans le pays, que deux forces- appelez-les blocs si vous voulez- : un parti progressiste que l’UFP incarne le mieux pour le moment, et un parti libéral.

Je voudrais enfin faire deux remarques à propos des blocs dont vous parlez : D’une part, le bloc qui se constitue actuellement et pour lequel je souhaite beaucoup de ciment et de plâtre, ne peut avoir pour base d’alliance que le vague souvenir d’avoir été dans l’opposition à l’ancien système (parlons bas pour ne pas indisposer certains post-transfuges).

Ensuite l’unique discours qui puisse rassembler ce bloc - et qui le rassemble déjà- est la vitupération contre le système de Ould Taya et contre ceux qui, par peur, par convoitise ou par conviction, l’ont soutenu, c’est-à-dire 80% des mauritaniens. Or ce discours est porteur de haine et peut entraîner la naissance d’un autre bloc et un aiguisement des contradictions susceptibles de déboucher sur de vilaines perspectives pour le pays.

 

T.H: Certains vous reprochent votre trop large consensus avec l’ancien régime de ces 25 dernières années, que leur répondez-vous?

IOA: Pourquoi spécialement ces 25 dernières années ? Les années dont vous parlez couronnent toute une phase de l’histoire du pays qui va de la colonisation et qui, nous l’espérons, prendra fin au terme de cette période de pré transition. C’est une phase où le citoyen a été conditionné et formé pour se soumettre et obéir, où l’État était une fin en soi. Nous espérerons que désormais, le citoyen sera un acteur dans un État considéré comme un instrument d’épanouissement des citoyens et de réalisations des fins nécessaires. En ce qui concerne le jugement que vous voulez provoquer, je vous dirais qu’à part ce que nous avons toujours reproché publiquement à l’ancien système, en matière de libertés publiques, de droit de l’homme, de méthode de gestion du pouvoir, de gestion des ressources publiques, beaucoup de choses, très positives, ont été réalisées durant cette dernière période. Enfin, il ne faut pas oublier que le système a évolué de l’intérieur en mettant en valeur ses propres ressources humaines, notamment les officiers et les cadres qui l’ont toujours soutenu. N’est-ce pas l’un de ses aspects  hautement positifs ? En tout état de cause, nous assumons entièrement les choix que nous avons faits et ne permettons à personne de nous donner des leçons en matière de civisme ou de patriotisme. Seul l’Histoire a le droit de nous juger à travers le choix que le peuple mauritanien fera, à moins qu’il n’existe des personnes ayant, à la naissance, le droit exclusif de juger ce qui est bon et ce qui est mauvais.

Propos recueillis par Mamoudou Lamine Kane


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