ImmigrĂ©s en Mauritanie Qui sont-ils, que cherchent-ils?   
07/06/2006

Des femmes et des hommes venus de tous les horizons de Nouakchott affluent Ă  la place de l’Eglise de Nouakchott tous les jours. Les femmes se rangent au flanc nord de l’Eglise, tandis que les hommes, pour la plupart des jeunes âgĂ©s de 20 Ă  35 ans, parfois plus, se mettent sous les arbres. Ils guettent tous, le premier vĂ©hicule qui stationne. Que font-ils et que cherchent-ils plus exactement ? Notre reporter s’est rendu sur les lieux Ă  la rencontre de cette couche sociale dĂ©favorisĂ©e.



Ils sont de nationalités différentes à venir chaque jour à l’Eglise pour chercher du travail de n’importe quelle nature. Le lavage de véhicules, le ménage, la cuisine, être «boy». Des Guinéens, des Sénégalais, des Maliens et même des Mauritaniens assiègent la place de l’Eglise à longueur de journée. Objectifs? Trouver un travail pour améliorer leurs conditions de vie.

Cette affluence de femmes et d’hommes autour de l’Eglise attire l’attention de la police qui n’hĂ©site pas Ă  faire parfois des descentes inopinĂ©es sur les lieux. Ceci pour sĂ©curiser tout ce monde. Mais, selon les interlocuteurs que nous avons rencontrĂ©s lors de notre passage, la situation est quelques fois difficile Ă  vivre. «La police vient ici de temps en temps pour ramasser nos affaires» dĂ©clare Hamidou KantĂ©, un jeune chauffeur guinĂ©en d’une vingtaine d’annĂ©es. Autre son de cloche chez son concitoyen Alpha Amadou qui affirme que« la police leur rend visite de routine par moments, mais sans ’crĂ©er’ de problèmes Â».

Du cĂ´tĂ© de certains «petits tafeurs», on dĂ©clare que le problème n’est nullement la police mais plutĂ´t «les patrons recruteurs».

Pour ces chercheurs d’emplois, les patrons viennent les recruter à l’Eglise avec des salaires dérisoires qui varient entre 12.000 et 18.000 UM selon le genre d’emploi. Une fois chez eux, le traitement devient tout autre et la fin de l’histoire est souvent amère. D’autres avancent avoir été accusés par des employeurs, de vol de portables, de bijoux, d’argent ou différents gadgets. «Ce sont les femmes qui s’adonnent à ce genre de comportement» disent-ils. Cet astuce serait selon quelques uns «le meilleur prétexte pour refuser de payer son employé recruté alors, à la va-vite».

Sans dĂ©fense, la plupart sont interpellĂ©s voire incarcĂ©rĂ©s pour des motifs lĂ©gers. « Nous sommes lĂ  parce que nous n’avons pas une possibilitĂ© alternative et nous cherchons juste Ă  gagner honnĂŞtement notre vie» dĂ©clarent M’bareck et Diop Houssein, deux gaillards un peu âgĂ©s, mais visiblement très rassurĂ©s sur leur condition de vie. La question de la police ne semble les inquiĂ©ter nullement.

 

En gĂ©nĂ©ral, les jeunes hommes sont pour leur majoritĂ© des chauffeurs, des cuisiniers, des peintres comme ce sĂ©nĂ©galais, aventurier de son Ă©tat. Il a dĂ©jĂ  parcouru le Gabon, la CĂ´te d’Ivoire, le Burkina, le Mali et la Mauritanie, son dernier point de chute. « Je fais ici la peinture des jantes en aluminium pour les vĂ©hicules. Mais aussi, je lave des voitures comme tout le monde Â». Refusant de dĂ©cliner son identitĂ©, il dit avoir beaucoup d’expĂ©riences en matière d’aventures.

Ces jeunes qui sont en situation rĂ©gulière (ils n’hĂ©sitent pas exhiber leur pièce d’identitĂ© ou leur passeport), dĂ©plorent la situation Ă  laquelle ils sont confrontĂ©s au quotidien. «La Mauritanie est un pays d’accueil et d’hospitalitĂ©. Mais le comportement de certains patrons nous donnent parfois envie de rentrer chez nous Â» dĂ©clare Arfang Kaba, 25 ans, de nationalitĂ© guinĂ©enne. Ce jeune, assurĂ©ment fatiguĂ© et agacĂ© par les multiples accusations de vol dont il a Ă©tĂ© victime, nous demande s’il existe une structure qui s’occupe du refoulement des aventuriers. «Je veux rentrer chez moi mais je n’ai pas les moyens Â». Le dĂ©couragement gagne peu Ă  peu, ce jeune venu du Maroc Ă  partir duquel, il avait tentĂ© d’émigrer vers l’Espagne. Il symbolise le rescapĂ© type de l’immigration clandestine. Il est au bord de la rupture. Lui et ses amis demandent de quoi payer un repas. « Je n’ai rien mangĂ© depuis ce matin. Pouvez-vous me donner quelque chose ? Â» Sous le regard pitoyable des uns et des autres, le moindre geste de poche attire l’attention de tout le monde. Ce qui signifie que ce monde a faim !

 

Comment s’organisent-ils ?

Les jeunes s’organisent en groupe selon la nationalité. Si un membre du groupe, ne trouve pas du travail pendant un moment, les autres lui prêtent un peu d’argent pour sa nourriture. La dépense quotidienne leur revient à 900 UM voire 1.000 UM pour l’achat d’un bidon de 20 litres d’eau à 50 UM, du détergent en liquide à 700 UM, celui en poudre à 30 UM... Tout cela, pour le lavage d’une voiture. Un bidon sert à laver un véhicule pour une recette de 200 UM. Quand la chance sourit, on peut se retrouver avec 5 voitures à laver au maximum. Sinon, le plus souvent, il faut compter 2 à 3 voitures par laveur en période d’affluence.

Leur apprĂ©ciation du comportement actuel de la police quasi unanime. Ces immigrĂ©s disent qu’ils Ă©taient fatiguĂ©s avant le changement du 03 aoĂ»t du fait des rafles musclĂ©es. Maintenant, « la police vient ici sans inquiĂ©ter personne Â». Globalement, le changement de rĂ©gime est bien vĂ©cu chez les Ă©trangers. NĂ©anmoins, la majoritĂ© affiche un optimisme mesurĂ© quant Ă  leur avenir dans ce pays. La cohabitation se fait sans heurt. Ils sont solidaires les uns des autres, mĂŞme si Ă  l’approche d’un vĂ©hicule chacun se rue pour tenter sa chance. Au premier venu, la meilleure chance.

 

Les femmes aussi …

Des femmes de mĂ©nage. Essentiellement des SĂ©nĂ©galaises et des Mauritaniennes, elles sont assises tous les jours au nord de l’Eglise Ă  l’attente d’un employeur. Ici, on trouve des femmes très âgĂ©es comme de jeunes femmes. Fatou Khole, la quarantaine, mariĂ©e, et Marième Keita, 35 ans, divorcĂ©e tĂ©moignent. «C’est dur pour une femme de vivre une situation pareille. Les employeurs nous taxent de femmes de mauvaises mĹ“urs alors que nous sommes des mères de famille pour la plupart d’entres nous» se lamentent-elles. L’emploi des femmes ici peut ĂŞtre journalier comme mensuel. Tout dĂ©pend de l’offre.

Aminata Mangane, 32 ans, porte avec elle un enfant d’un an qui ne cesse de pleurer et de traĂ®ner par terre. «Vous voyez ! Mon enfant a faim. Depuis quelques jours, je n’ai pas de quoi le nourrir, Ă  part mon lait Â», dĂ©plore-t-elle. « Ça fait presque 4 mois que je cherche du travail sans succès Ă  cause aussi de mon enfant Â» poursuit-elle, les larmes aux yeux. «Ne fais pas ça!» la consolent ses copines, «Dieu est grand, tu parviendras Ă  amĂ©liorer ta situation.»

A l’instar des hommes, les femmes aussi se plaignent du traitement qui leur est réservé par les employeurs et par certains éléments égarés de la police. Plusieurs femmes de ménage en attente d’un hypothétique emploi avouent «faire l’objet de rafle, puis libérées contre un paiement forfaitaire de 500 à 1500 UM»

Fatou Khole, l’une d’entre elles, insiste sur sa bonne foi, sa crĂ©dibilitĂ© et son honnĂŞtetĂ©. Elle demande Ă  ce qu’on sensibilise les employeurs pour que leur condition s’amĂ©liore. Madame Marième Keita, revient Ă  la charge: « certains employeurs nous harcèlent en nous traitant de tous les sales mots Â».

Ces femmes restent parfois 2 à 6 mois sans trouver un emploi alors qu’elles ont des charges à la maison. Hormis la location, la nourriture, elles font face aux frais d’électricité et d’eau. Dieynaba Dia, 60 ans, très timide certainement à cause de son âge, reste la doyenne du groupe. «Je suis lavandière, je suis vieille mais je ne peux pas rester à la maison à cause des charges familiales» martèle-t-elle.

A cet âge, vous avez des charges ? « Oui! J’ai mes neveux Ă  la maison, et ils sont très jeunes. Ce sont des orphelins Â» explique-t-elle davantage.

Madame Keita reprend la parole en dĂ©plorant l’attitude des intermĂ©diaires qui cherchent des femmes de mĂ©nage. Pour elle, ceux-lĂ  sont des malfaiteurs. « Parfois, ils viennent nous prendre pour travailler. Dès que vous finissez votre boulot, ils se prĂ©cipitent pour rĂ©cupĂ©rer votre argent.».

Le tĂ©moignage de Habsa dĂ©peint davantage le calvaire de ces femmes :« je suis divorcĂ©e, mon mari ne travaillait pas et je me fatiguais avec ses complaintes quotidiennes. J’ai prĂ©fĂ©rĂ© partir pour travailler librement et m’occuper de mes trois enfants Â».

La situation de ces femmes, laissées à la merci de certains individus véreux et sans scrupule mérite sans doute réflexion. La quasi-totalité, doute des retombées pétrolières sur leur existence. Elles gardent encore le moral haut, et observent une bonne moralité, mais jusqu’à quand?

Ibou Badiane

 

 


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