Splendeurs et dĂ©cadences des griots   
29/05/2006

Autrefois respectés, parfois même craints, les griots sont aujourd’hui réduits pour certains, à des parias de la société. Leur statut utilitaire d’antan a laissé la place à des bouffons modernes. Ils traquent les cérémonies où ils se font un peu d’argent. Cette frange de la société est parfois très mal jugée. Pourtant des griots imbus des vraies valeurs de l’art demeurent encore.
Ils ont jalonné le cours de l’histoire, et sont présents dans toutes les communautés du pays.



On les rencontre dans les cérémonies de mariages, de baptêmes et même de funérailles. Ils portent en général des habits richement brodés. Leur élégance naturelle frise la féminité. Maîtres de la parole, ils connaissent l’hagiographie des uns et autres. Parfois, ils vous rendent visite, accompagnant leurs éloges de la guitare traditionnelle mais aussi moderne, ou unissant leurs voix dans des chants polyphoniques, ils vous emmènent dans des envolées lyriques, vous menant dans un voyage intemporel.
Leur statut social se lit mieux dans le passé : entre autres devoirs, ils étaient chargés de remplir des missions d’ambassadeurs entre des souverains. Il leur revenait aussi la charge de réguler les conflits qui pouvaient éclater entre les membres d’une famille ou d’une tribu. Lors des cérémonies, de quelque nature qu’elles soient, ils jouent le rôle de « grands prêtres ».
Hélas, avec l’évolution des mentalités mais surtout du fait d’une conjoncture difficile, les seigneurs qui offraient aux griots le gîte, le couvert, la protection et les dons de toutes espèces, ne parviennent plus à assurer cette continuité. De leur coté, ces derniers sont tombés dans la précarité, et certains n’hésitent plus à devenir de véritables parasites, vivant aux basques de personnes qui les méprisent, quand d’autres écument la ville à la quête du moindre mariage. Abdoulaye M., 36 ans, griot, ressortissant de Thienel, village situé à une dizaine de kilomètres de Boghé habite le quartier El Mina. Il explique : «C’est très dur pour nous maintenant. Avant, les personnes de caste noble sur qui nous fondions nos espoirs, ne rechignaient jamais à nous faire des dons. Mais actuellement, si on se rend chez les nobles, il y en a qui se cachent à notre vue. C’est à peine s’ils ne nous jettent pas dehors.» Il ajoute désolé : «Nous nous organisons en «brigades» pour répertorier les mariages et baptêmes en vue. Pour cela, certains vont aux nouvelles dans les maternités, d’autres infiltrent les familles pour recueillir des informations. Dès que la date d’une manifestation est connue, il ne reste plus qu’à attendre le jour J, et se présenter à l’adresse indiquée.» Ce constat en dit long sur l’état de décrépitude dans lequel est tombé la fonction de griot.

Se mettre au diapason de la société de consommation
Ce qui se passe, c’est que ces derniers n’ont pas senti venir l’évolution des moeurs. En effet, si des personnes continuent à avoir une considération pour les griots du fait des liens très forts contractés depuis la nuit des temps, certains n’hésitent pas à voir en eux des «partisans du moindre effort» qu’il faudrait pousser au travail. C’est l’avis de Mahamadou, 39 ans, immigrant en Allemagne : «Ces gens ne peuvent plus continuer à nous pomper nos sous ! Déjà qu’ils nous harcèlent en Afrique, maintenant ils nous poursuivent partout dans le monde. Ils doivent comprendre que nous gagnons très durement notre vie en Europe. S’ils ont pu arriver jusqu’ici, ils n’ont qu’à retrousser leurs manches» fulmine-t-il.
Toutefois, il serait juste de noter que cette étiquette ne colle pas à tous les griots. En effet, contrairement au cliché caricatural de l’éternel indolent qu’on veut donner aux griots, ils n’ont pas toujours été des adeptes de la facilité. Aussi longtemps qu’on remonte le cours du temps, ils ont toujours effectué des travaux champêtres ou artisanaux et cela se vérifie encore de nos jours dans certaines localités de la Mauritanie.
De plus, plusieurs éléments de cette catégorie sociale exercent des métiers. C’est le cas de A.B.S., ancien patron d’une entreprise de couture qui employait plus d’une douzaine de salariés qui confie : «Je suis né griot, et fier de l’être. Cela ne doit pas empêcher d’avoir des initiatives. Je m’occupais de mon travail de patron d’entreprise certes, je ne manquais jamais de me présenter à des cérémonies. Je m’acquittais de mon devoir de griot ensuite, je retournais à mes machines.»
L’art d’être griot demeure alors une manière d’être avant de devenir une condition sociale. Il apparaît capital pour les membres de cette société de se mettre au diapason de la société de consommation, en scolarisant leurs enfants pour leur assurer un avenir sûr. Les griots sont les dépositaires d’une mémoire collective. Ce ne serait pas trop demander de veiller à assurer la pérennité de cette frange sociale dans nos sociétés traditionnelles orales. Cette culture de l’oralité a aujourd’hui tendance à disparaître… l
Par Biri N’Diaye
youbiss@yahoo.fr


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