Au Sahara occidental, les indépendantistes du Front Polisario ont annoncé, vendredi, la fin d’un cessez-le-feu vieux de 30 ans, suite à une opération militaire marocaine dans une zone tampon de ce territoire disputé.
Retour sur les origines de ce conflit, et les conséquences que peut avoir un tel événement. La situation se tend de nouveau au Sahara occidental. Le Front Polisario, mouvement indépendantiste sahraoui, a annoncé, vendredi 13 novembre, la fin d’un cessez-le-feu conclu il y a près de 30 ans sous l’égide des Nations unies. "La guerre a commencé", a déclaré Mohamed Salem Ould Salek, chef de la diplomatie de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), proclamée par le mouvement indépendantiste en 1976. "Le Maroc a liquidé le cessez-le feu", a-t-il ajouté en réaction à l’opération militaire lancée par le Maroc dans la zone-tampon de Guerguerat, à l’extrême sud-ouest de l’ancienne colonie espagnole au statut encore non défini. Ce cessez-le-feu, conclu en 1991 après 16 ans de guerre, a débouché sur de multiples tentatives de négociations, chapeautées par la communauté internationale, mais dont aucune n’a jusqu’ici abouti.
Conflit post-colonial Ancienne colonie espagnole, le Sahara occidental, qui s’étend sur 266 000 km2 et est peuplĂ© de plus d’un demi-million d’habitants, est essentiellement contrĂ´lĂ© par le Maroc, qui dĂ©tient 80 % de ce territoire quasi-dĂ©sertique, au sous-sol riche en phosphates et au littoral très poissonneux. Une situation qui perdure depuis 1975. À l’issue de la "Marche verte" organisĂ©e cette annĂ©e-lĂ , Ă l’appel du roi marocain Hassan II, pour prendre possession du Sahara occidental, l’Espagne cède le nord et le centre de sa colonie au Maroc, et le sud Ă la Mauritanie. Une annexion que refuse d’emblĂ©e le Front Polisario, soutenu par l’AlgĂ©rie. Les partisans du Front Polisario attaquent alors les forces marocaines et mauritaniennes, qu’ils considèrent comme des forces d’occupation. En 1980, quatre ans après la proclamation de la RASD par le mouvement indĂ©pendantiste sahraoui, le Maroc construit un "mur de dĂ©fense". Long de 2 700 kilomètres, ce rempart de sable fend aujourd’hui encore le dĂ©sert pour mieux quadriller le Sahara occidental, que le royaume considère comme appartenant Ă son territoire national. S’ensuit un exode des populations. Pour la seule annĂ©e de 1976, quelque 10 000 rĂ©fugiĂ©s sahraouis quittent le pays pour les camps de Tindouf, en AlgĂ©rie, fuyant la guerre. Selon diverses sources, de 100 000 Ă 200 000 rĂ©fugiĂ©s sahraouis sont aujourd’hui installĂ©s dans ces camps situĂ©s Ă 1 800 km au sud-ouest d’Alger, près de la frontière avec le Maroc. Depuis près de trente ans, ces derniers rĂ©clament un rĂ©fĂ©rendum d’autodĂ©termination, lĂ oĂą le Maroc se dit uniquement prĂŞt Ă faire de ce territoire une rĂ©gion autonome, mais placĂ© sous sa souverainetĂ©.
NĂ©gociations au point mort et soubresauts belliqueux Face Ă cet impossible dialogue, une mission de l’ONU, la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un rĂ©fĂ©rendum au Sahara occidental (Minurso) est crĂ©Ă©e en 1991 lorsque le cessez-le-feu est dĂ©clarĂ©. Sur place, Ă Laâyoune, ces forces locales de maintien de la paix s’inscrivent dans le prolongement de la demande faite au Maroc par l’ONU : organiser un rĂ©fĂ©rendum sur l’autodĂ©termination du peuple sahraoui, auquel le royaume marocain continue de se refuser. S’ensuivent des annĂ©es de statu quo, ponctuĂ©es de soubresauts belliqueux. OĂą en Ă©tait-on jusqu’ici des nĂ©gociations ? "Au point mort", affirme Francesco Correale, ingĂ©nieur de recherche en analyse des sources historiques et culturelles au CNRS. "Le Royaume du Maroc refuse, depuis 2004, l’application du droit d’autodĂ©termination par l’organisation d’un rĂ©fĂ©rendum, tel qu’il est statuĂ© par l’ONU depuis 1963 et confirmĂ© dans les accords de cessez-le-feu de 1991", explique l’historien, contactĂ© par France 24. Or, de son cĂ´tĂ©, le Front Polisario n’accepte pas que ce principe puisse ĂŞtre remis en cause par le projet d’autonomie rĂ©gionale proposĂ© par les autoritĂ©s marocaines. Au cours des dernières annĂ©es, "l’ONU s’est mĂŞme posĂ© la question de l’utilitĂ© de la Minurso", ajoute le chercheur. "Car, de fait, elle se limite Ă surveiller le respect de la trĂŞve mais, malgrĂ© des tentatives effectuĂ©es en 1991, 1997 et 2004, elle n’a pas rĂ©ussi Ă remplir sa mission principale, Ă savoir : la rĂ©alisation du rĂ©fĂ©rendum d’autodĂ©termination". De leur cĂ´tĂ©, plusieurs ONG ont accusĂ© le Maroc de "crime de colonisation", le Sahara occidental Ă©tant aujourd’hui encore le seul territoire africain au statut post-colonial non rĂ©glĂ©. En termes juridiques, cette zone est inscrite depuis 1963 dans la liste des territoires non autonomes, Ă©tablie par la IVe Commission gĂ©nĂ©rale des Nations unies. Et bien que le Maroc ne s’estime pas colonisateur du territoire, sa prĂ©sence n’en est pas moins rejetĂ©e par la majoritĂ© de la population sahraouie, prĂ©cise le chercheur, qui suit la question depuis trente ans sous l’angle de l’histoire coloniale de la rĂ©gion et de l’histoire du conflit au Sahara occidental. En tĂ©moignent, selon lui, "les nombreuses intifadas qui se sont succĂ©dĂ© dans les diffĂ©rentes villes du Sahara (en 1999, 2005 et 2010)". Par ailleurs, ajoute-t-il, "depuis 1991, les autoritĂ©s ont facilitĂ© - pour ne pas dire invitĂ© - les populations des rĂ©gions du Maroc Ă s’installer au Sahara, renversant ainsi les Ă©quilibres dĂ©mographiques, au point qu’aujourd’hui, les Sahraouis sont minoritaires Ă l’intĂ©rieur de leur propre territoire". Ainsi, il ne fait aucun doute que "pour les Sahraouis et le Front Polisario, le territoire est occupĂ© par un État colonisateur". ÉlĂ©ment auquel s’ajoute l’exploitation des ressources du territoire (notamment ses gisements de phosphate et ses zones de pĂŞche) au bĂ©nĂ©fice exclusif du Maroc. Une situation dĂ©noncĂ©e par des ONG, en particulier Western Resource Watch, et sur laquelle "le royaume du Maroc a systĂ©matiquement refusĂ© de laisser les populations sahraouies s’exprimer", pointe Francesco Correale.
"Il faut espĂ©rer que l’ONU reprenne en main la question" MalgrĂ© son rĂ´le fondamental dans ce dossier dont elle s’est saisie il y a trois dĂ©cennies, "l’ONU semble presque se dessaisir de la question, tout en maintenant une surveillance formelle de la situation", analyse l’historien. Pour ce dernier, en effet, "le fait que le SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral des Nations unies n’ait toujours pas nommĂ© de nouvel envoyĂ© personnel (l’ancien Ă©missaire, Horst Köhler, a quittĂ© son poste "pour raison de santĂ©" en mai 2019, NDLR), est une marque importante de ce ’dĂ©sistement’". Du cĂ´tĂ© de l’Union africaine (UA), l’impulsion ne semble pas non plus au rendez-vous, compte tenu de "blocages internes entre les partisans du Maroc et les partisans de la RASD", ajoute Francesco Correale. Par ailleurs, le Maroc a toujours repoussĂ© toute mĂ©diation de l’UA sur la question sahraouie, estimant que ce dossier n’appartient qu’à l’ONU. Mais mĂŞme au sein de l’ONU, la position des diffĂ©rents États est loin d’être homogène. L’Espagne, "qui a une responsabilitĂ© historique grave vis-Ă -vis de ce conflit" pourrait peser davantage sur le respect des rĂ©solutions de l’ONU, estime le chercheur au CNRS. Les États-Unis ont, quant Ă eux, soutenu la proposition faite par le Maroc en 2007 d’octroyer aux Sahraouis un statut d’"autonomie" au sein du royaume chĂ©rifien. Pour ce qui est de la France, qui fait partie des cinq membres permanents du Conseil de sĂ©curitĂ© de l’ONU, son rĂ´le a Ă©tĂ© plus actif. Celle-ci a plusieurs fois rĂ©itĂ©rĂ© son soutien au Maroc, son meilleur alliĂ© au Maghreb, et a Ă©galement Ă©paulĂ© militairement la Mauritanie Ă travers l’opĂ©ration Lamantin, entre dĂ©cembre 1977 et juillet 1978, afin d’aider le gouvernement mauritanien Ă repousser le Front Polisario. "C’est d’ailleurs le gouvernement français qui, ces dernières annĂ©es, s’est opposĂ© avec la plus grande force au Conseil de sĂ©curitĂ© de l’ONU concernant l’extension du mandat de la Minurso", explique Francesco Correale. Extension que demandait, entre autres, l’ONG Amnesty International, et qui a finalement Ă©tĂ© dĂ©cidĂ©e le 30 octobre dernier, pour une durĂ©e d’un an. En AlgĂ©rie, une aide inconditionnelle au Front Polisario a Ă©tĂ© accordĂ©e dès l’ère Houri BoumĂ©diène. L’ancien prĂ©sident algĂ©rien (de 1965 Ă 1978) n’avait pas apprĂ©ciĂ© que l’avenir des territoires sahraouis soit dĂ©cidĂ© sans le consulter. Par ailleurs, "la ’Marche verte’ avait inquiĂ©tĂ© les AlgĂ©riens, qui considĂ©raient l’expansionnisme marocain comme une menace pour leurs propres frontières", selon Lucile Martin, collaboratrice aux Cahiers de l’Orient. Mais alors quelles consĂ©quences cette nouvelle rupture du cessez-le-feu peut-elle avoir sur le terrain ? "Il est extrĂŞmement difficile de rĂ©pondre Ă cette question", prĂ©vient Francesco Correale. "Il faut espĂ©rer que l’ONU reprenne en main la question, obtenant un cessez-le-feu immĂ©diat et faisant valoir, dans des nouvelles nĂ©gociations, l’application du principe d’autodĂ©termination, de manière Ă ce que les Sahraouis puissent enfin dĂ©cider de leur futur", poursuit-il, ajoutant que le scĂ©nario contraire est imprĂ©visible pour le moment. "Personne n’est en mesure de comprendre ni l’extension du conflit, ni ce qu’un conflit de ce type pourrait engendrer au niveau rĂ©gional".
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