La problématique du quota des femmes en Mauritanie    
10/04/2006

 

L’égalité virtuelle des genres est prévue en Mauritanie par les lois internes et les traités internationaux dûment ratifiés, mais la réalité met au contraire, en évidence, une marginalisation quasi-totale des femmes en raison de facteurs socio-culturels et économiques insurmontables, à court et moyen terme. Les femmes occupaient ainsi moins de 3% des sièges dans le parlement, le sénat et les conseils municipaux et dans les hautes fonctions de l’Etat. Et il est à craindre, dans des prochaines élections réellement transparentes que leur accès aux fonctions électives soit encore plus faible, voire nul.



La Mauritanie risque donc de se retrouver dans une situation indéfendable au regard de la communauté internationale et particulièrement injuste et inéquitable envers la composante féminine de ce pays. La communauté internationale considère en effet, la participation des femmes aux instances électives comme un indicateur de développement économique et social et en fait un critère d’octroi de l’aide internationale, particulièrement celle affectée à l’organisation des élections dans les pays en voie de développement.

JUSTIFICATION DU QUOTA
La position de la communauté internationale est dictée par les raisons objectives suivantes :
Une démocratie où la moitié de la population est exclue des centres de décision est purement formelle et les pays soucieux du respect de l’idéal démocratique aménagent leurs lois électorales pour permettre une réelle égalité des chances entre les citoyens.
Le développement économique ne peut se faire sans la participation des femmes qui représentent plus de la moitié de la population. L’accès de celles-ci aux fonctions électives en est un facteur essentiel, confirmé par l’ensemble des statistiques dans ce domaine.
L’utilité sociale dicte que chaque groupe social ait des représentants dans les instances électives car ils connaîtraient mieux les problèmes qui se posent à leur groupe et les résoudraient mieux qu’un représentant étranger à ses préoccupations.
Elle dicte également que tous les membres de la société qui ont des talents ou des capacités dans la gestion de la chose publique puissent les exercer pour une meilleure allocation des ressources humaines.
Les expériences dans ce domaine ont justement montré que les femmes sont bonnes gestionnaires, qu’elles sont plus persévérantes que les hommes et ont moins tendance à accaparer le pouvoir ou à détourner les deniers publics.
Les législations volontaristes sont donc édictées, autant par équité que par pure nécessité, pour bousculer les obstacles socioculturels par une discrimination positive en faveur des femmes, afin de mettre en place les jalons d’une égalité effective des genres.
Le pouvoir de transition en Mauritanie a ainsi choisi d’adopter la discrimination positive en faveur des femmes, décidée lors des journées nationales de concertation sur la base d’un quota de 20% au moins dans les mandats électoraux et les fonctions électives.
Le mode original de concertation appliqué lors de ces journées fait que cette décision, qui figure dans le rapport paraphé de l’atelier concerné, est contraignante pour les autorités publiques et les engage formellement.
Le pouvoir législatif devrait alors disposer de manière à ce que le quota ne soit pas discutable en lui-même et que seul le choix des techniques électorales pour le remplir équitablement puisse être discuté.
Il ne serait pas permis, au regard des conclusions des journées de concertation et du climat de réformes positives qui règne actuellement dans notre pays, que l’intelligence des femmes mauritaniennes soit sous estimée au point de leur offrir un quota de 20% au moins sur les listes électorales qui n’a strictement aucun effet contraignant pour les pouvoirs publics et les formations politiques.
C’est donc pour contribuer à enrichir les choix techniques éventuels, pour rendre ce quota réellement effectif, que nous avons formulé les propositions suivantes qui portent sur le système électoral, sur l’organisation des listes candidates et sur les modes de sanction et d’incitation :

OPTIONS TECHNIQUES

1. Le mode de scrutin :
Pour atteindre au mieux le quota recherché il conviendrait d’adopter un mode de scrutin proportionnel intégral ou mixte à forte dose de proportionnelle, car le scrutin majoritaire limite, dans le contexte actuel en Mauritanie, l’accès des femmes aux fonctions électives.

2 Le découpage des circonscriptions électorales :

Il serait nécessaire, pour obtenir une meilleur représentativité des femmes, d’élargir les circonscriptions électorales et de présenter les candidates à l’échelle nationale, ou tout au moins régionale, afin d’éviter leur éviction inévitable dans les petites circonscriptions électorales.

3. L’organisation des listes candidates :
Les propositions suivantes permettent de mieux atteindre, arithmétiquement, le quota de 20% au moins, décidé lors des journées nationales de concertation :
- Prévoir des listes nationales de femmes et leur réserver 20% des sièges dans chaque instance à élire. Chaque formation politique devrait alors présenter une liste de femmes égale au nombre de sièges à pourvoir. Lors du dépouillement des scrutins chaque formation politique obtiendra, pour les femmes qu’elle a présentées, un nombre de sièges proportionnel aux suffrages qu’elle a recueillis dans les élections générales. Ce système a été appliqué avec succès au Maroc et serait le mieux adapté à la Mauritanie, en raison de sa facilité d’application et de la proximité géographique et culturelle de ce pays.
- Placer les femmes à des postes éligibles sur les listes candidates. Pour un quota de 20% au moins, une femme devrait être en première ou deuxième position et une femme après chaque intervalle de quatre personnes, soit le positionnement suivant : 1e ou 2e et 6e, 11e, 16e place… etc. Ce positionnement des femmes est sans préjudice de l’occupation par celles-ci d’une ou plusieurs places intermédiaires dans les listes électorales. Le système des positions réservées sur les listes est appliqué en Argentine et au Costa Rica pour des quotas respectifs de 30 et 40%. Le non respect des positions réservées doit nécessairement être sanctionné par l’irrecevabilité des listes.
- Présenter librement les femmes aux élections et leur réserver 20% des sièges qui seront attribués en fonction du pourcentage des suffrages recueillis. Ce système est appliqué en Jordanie et en Afghanistan. Il pénalise cependant les femmes dans les grands centres urbains, car il est plus facile pour une femme de convaincre dix électeurs sur cent pour obtenir 10%, que d’en convaincre mille sur dix mille pour obtenir le même pourcentage. Il peut être corrigé en tenant compte du nombre des suffrages exprimés.
- Pourvoir le quota de 20% par cooptation, ce qui n’offre cependant aucun critère objectif de départage et pourrait être une source de mécontentement et de contestation, sans compter que les femmes seront exclues des campagnes électorales et des débats démocratiques.

SANCTIONS ADMINISTRATIVES ET INCITATIONS FINANCIERES
Dans le cas ou le quota sera pourvu par des places réservées dans les listes de chaque formation politique, le non respect de cette mesure doit nécessairement être sanctionné par l’irrecevabilité des listes.
Des incitations financières pourront, par ailleurs, être allouées aux formations politiques qui favorisent l’intégration des femmes en leur sein, et particulièrement à celles qui présentent des femmes en tête de liste.
Les incitations financières peuvent cependant n’être attractives que pour les petites formations politiques qui présenteraient des femmes, qui n’ont aucune chance de gagner un siège, pour obtenir des aides financières de l’Etat.
Les grandes formations politiques choisiront logiquement de renoncer aux aides financières pour s’assurer de gagner des sièges aux élections. C’est cette dernière situation qui prévaut actuellement en France selon le dernier rapport de l’observatoire national de la parité.

Par Me Jemila mint Ichiddou, avocate


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