A Nouakchott, pendant que des nouveaux quartiers surgissent de partout et que l’on procède au toilettage à grande eau de toute la cité, El Mina, une des premières excroissances de la jeune ville se meurt doucement. Vivier électoral dont on ne se dispute l’intérêt que lors des scrutins, le coin est vite oublié à l’issue des temps de vote.
Le quartier du sixième arrondissement et son concitoyen du cinquième, dénominations auxquelles ils répondaient il y a quelques années sont les premiers quartiers qui ont vu le jour après la vieille cité du Ksar et les bâtisses administratifs de la Capitale. C’est pour fuir l’exiguïté de ces domaines que les nouveaux habitants de Nouakchott, par vagues successives avaient investi les lieux. Jusqu’en 1975, on ne distinguait que des baraques sur cet emplacement dunaire. C’est bien après que ces quartiers ont connu un lotissement dans le sens du découpage administratif de Nouakchott. Toujours est-il que depuis qu’El Mina notamment existe, il n’a jamais fait l’objet d’un projet de développement quelconque. Parmi les rares infrastructures visibles du lieu, celles qui souffrent le plus du délaissement demeurent sans aucun doute les rues. En effet, El Mina fait partie des zones où la réhabilitation et l’entretien des routes bitumées ne sont jamais prévus dans les plans d’actions communaux. La couche de goudron recouvrant les rues a depuis longtemps disparu sous un linceul de sable. Les cratères des nids-de-poule demeurent les bourreaux des amortisseurs de voitures sur les bouts de bitume encore praticables. Par ailleurs, l’on note qu’autant l’image du bled semble inscrite dans une logique de décadence implacable, autant ses habitants pour leur plus grande majorité demeurent paumés. La jeunesse s’estime flouée La population qui est à 70% jeune se noie dans le désoeuvrement. Longtemps utilisée dans les joutes opposant les différents clans politiques, elle s’estime aujourd’hui flouée. C’est l’avis de Mohammadou Yall : «On ne sait pas ce qu’on a fait pour mériter cette situation. L’on s’occupe de tous les quartiers de la ville sauf ici. Tout est vieux et sale ! Vous savez, les politiciens, ils n’ont pas de parole. Lors des élections passées, ils nous faisaient tous la cour. Chaque état-major voulait profiter de nos voix. Ils nous donnaient de l’argent et promettaient beaucoup de choses pour les jeunes. Mais une fois qu’on les a élu, ils ne pensent plus qu’à eux-mêmes et à leurs proches. Mais c’est fini cette comédie. On a tout compris.» Cet état de dégénérescence d’El Mina a tellement affecté le lieu que ses habitants ne trouvant pas de centres d’intérêt, en sont réduits à graviter autour des points où règnent encore des activités économiques. C’est ainsi que le gros des résidents assiègent le marché chaque matin à la recherche de quelques ouguiyas tandis qu’une bonne partie se retrouve au terminus communément appelé « Arrêt Bus. » en fait, cet espace, vestige du point final du tracé de la défunte STPN (Société de Transport Public National), garde toujours son importance symbolique vu que les minibus de transport en commun continuent toujours de s’y arrêter. Sur place : le même sentiment d’abattement chez une jeunesse désabusée. Dans le carré où les minicars en attente se comptaient par dizaines, l’aire est vide. Pas le moindre véhicule. Agglutinés autour d’un poteau électrique, une bande de jeunes est occupée à discutailler. Mamadou Niass, confie : «Tous ces gens que vous voyez travaillent dans le transport. C’est un mélange de chauffeurs et d’encaisseurs. Moi-même qui vous parle, je suis chauffeur. Mais vous savez, les temps sont si durs que nous ne pouvons plus conduire. Les patrons n’hésitent pas à renvoyer les chauffeurs si le versement n’est pas complet. Ils recrutent des sans permis qui acceptent des salaires de misère. Nous vivons de petits dons de nos collègues ou au meilleur des cas s’ils nous permettent de faire un ou deux voyages par jour avec leurs cars. C’est ce qu’on appelle le «sirou»nous sommes des «siroumen» dans le groupe d’hommes, les visages sont sans expression. Les regards dégagent un mélange de méfiance et de dureté. Bocar Wade, descendant d’un minibus avance : «on ne peut plus travailler comme avant, il y’a trop de voleurs. Les encaisseurs sont tous des voleurs, comment voulez-vous que l’on leur donne du travail. Tous ces gens sont des voleurs. Ils ont pourri le métier. Faites gaffe si vous ne voulez pas qu’on vous fasse les poches. » La sortie du nouvel arrivant a suscité un tollé général. Les encaisseurs et les autres chauffeurs présents ont visiblement peu goûté aux remarques de Bocar Wade. Quelques jeunes gens scandent : «Nous voulons avoir des permis pour conduire car on ne travaille plus maintenant. Les chauffeurs préfèrent travailler et encaisser seuls. S’il nous arrive de monter, c’est peut être une fois par mois. Le reste du temps, nous le passons ici à discuter.» A côté de ces affirmations qui traduisent éloquemment l’image d’une société évoluant à double vitesse, c’est le sentiment d’abandon de tout un quartier qui est mis à jour. Il est très curieux de noter une prise en charge de l’image de la capitale à travers la vaste campagne de nettoiement qui est en cours et, au même moment, que l’on continue de laisser en rade d’autres zones. Biri N’diaye
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